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22 décembre 2011 4 22 /12 /décembre /2011 03:33

Les nouveaux horizons du Yergir

 

Au cours de l’été, l’ONG franco-arménienne Yerkir (plus connue pour son engagement aux côtés de la minorité arménienne opprimée du Djavakhk) a réalisé de front plusieurs projets dans les régions de l’Arménie historique (Est de la Turquie actuelle). Suite à la tournée de son groupe ethno-musical Van Project au festival du Dersim et dans les régions Hamshen, l’Union Yerkir a réalisé du 15 au 23 septembre un voyage à Istanbul et à Diyarbakir qui a permis de prendre le pouls d’une région radicalement culturelle et politiquement en crise, et d’initier un certain nombre de projets à rebours du passé…  

 

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Sous la charpente du nouveau toit de l’église Sourp Giragos de Diyarbekir, dès lors que le fatras des échafaudages et des derniers gravats aura disparu des rangées de colonnes de l’imposante bâtisse , il n’y aura pas de gendarmes en faction, ni de panneaux muséographiques, ni d’interdiction de dire la messe. Contrairement à l’église Sainte-Croix d’Akhtamar inaugurée en grande pompe il y a quelques années par l’Etat turc, celle-ci est devenue le 23 octobre la propriété des arméniens qui avaient pris une large part dans sa restauration. Avec le soutien actif d’Osman Baydemir, le maire kurde de Diyarbekir, dont les nombreuses initiatives en direction des arméniens détonnent ; mais ne surprennent plus. Depuis la mort de Hrant Dink, à Istanbul comme à Dyiarbekir, le mot ″arménien″ a d’abord eu un visage, puis une signification. Elle se cherche à présent une place, qui s’avère être très différente selon le milieu et le lieu où on se place en Turquie.

 

Istanbul – dans l’antichambre de l’intelligentsia stambouliote

 

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Fort du succès de sa tournée dans le Dersim, le Van Project a été invité le 15 septembre à faire l’ouverture de la cérémonie du prix Hrant Dink, où se pressent la grande famille du journal Agos et le gratin du journalisme progressiste turc. Dans la grande salle de concert, l’émotion est sur scène lorsque le célèbre chanteur turc Yavuz Bingöl reprend en écho la version locale de ″Sari Gelin″, chanté en arménien par le soliste du groupe. Il s’effondrera en larmes dans les coulisses et invitera les jeunes musiciens à participer à son concert une semaine plus tard.

sept-2011-154.jpgLa remise du prix, largement tourné vers l’international, couronne notamment Ahmed Atlan, le célèbre militant antimilitariste et rédacteur en chef de Taraf qui ne manque pas, lors de son discours, de reprendre la culpabilité de l’assassinat de Hrant Dink à son compte, fustigeant l’indigence de son procès.

 

C’est cette même culpabilité qui avait inspiré la pétition ″L’Appel au Pardon″ il y a trois ans ; et dont nous avons rencontré deux des initiateurs, l’universitaire Cengiz Aktar et le journaliste proche du pouvoir Ali Bayramoğlu. Ce dernier est particulièrement actif dans l’entourage de la veuve Rakel Dink et se pose d’emblée en parrain du nouveau rédacteur en chef d’Agos, Robert Koptaç. Il a par ailleurs mis la dernière main aux nominations du prix, qu’il a désiré tourner vers tous les Droits de l’Homme, « ceux-ci ne devant pas se limiter à la Turquie et aux arméniens, ni s’exposer aux polémiques ou s’occuper de politique ». Un comble dans un pays où les Droits de l’Homme sont le sujet polémique et politique par excellence. Mais l’heure n’est plus aux provocations à la Dink ; les intellectuels turcs, en prenant la question arménienne à bras le corps suite à la déflagration de son assassinat, ont eu un grand mérsept-2011-163.jpgite - le faire entrer dans le débat mainstream, et une faiblesse – l’atténuer en la rabotant dans l’espoir de la rendre ″compatible″…

Agos a lui aussi changé dans le sillage de ce relatif embourgeoisement de ses idées : « son audience, sa diffusion, son aura dépassent désormais le microcosme arménien », nous révèle son jeune rédacteur en chef. Ses sujets sont plus généralistes, traitant de toutes les minorités ethniques et sexuelles. Dans le milieu progressiste turc, être arménien étant devenu une revendication en soi, une contre-culture naturelle ; elle attire désormais à elle toutes les autres.

 Au sein de cette intelligentsia qui, se découvrant orpheline et se voulant apôtre, a figé Dink dans la statuaire du prophète, se détache cependant un profil atypique. Fils d’un richissime entrepreneur kémaliste, Osman Kavala est un héritier dans tous les sens du terme. Membre du TÜSIAD (le MEDEF turc), il n’a pas pour autant renié l’étudiant gauchiste de l’université de Manchester sensible à la question kurde qu’il était ; mais a reconverti ses idées en actes dès lors que ses moyens étaient à la mesure de ses ambitions. En tant que descendant des turcs des Balkans, des origines que trahissent son profil d’aigle et ses yeux clairs, il est membre de l’association des citoyens d’Helsinki crée suite aux conflits de l’ex-Yougoslavie afin de promouvoir la paix dans ces régions .

En activsept-2011-891.jpgiste professionnel, il a fondé par la suite et dirige à plein temps Anadolu Kültür depuis 2002 - année de l’ouverture d’un centre cultur el à Diyarbekir - destiné à promouvoir la vie culturelle et artistique des minorités anatoliennes. Portant beau dans son costume sur mesure, le mécène a gardé le casque de cheveux bouclés de sa prime jeunesse mais taille sa barbe désormais poivre et sel. Ses longs bras posés sur la table, il glisse sur les sujets subversifs avec décontraction, modulant sa voix douce après chaque question qualifiée d’« intéressante », et prenant le temps d’expliquer ce qui, ailleurs, aurait été éludé. L’ « électrochoc » de la mort de Dink l’a décidé à concentrer une partie de ses efforts sur la culture arménienne. La perspective de l’ouverture de la frontière lui a permis d’ouvrir un centre culturel à Kars et il collabore aujourd’hui avec le festival de cinéma Golden Abricot de Yerevan, prépare des camps d’été d’échanges de jeunes entre l’Arménie et la région de Mouch, subventionne la venue de photographes de Dilijan. La diaspora arménienne n’est d’ailleurs pas en reste, puisque le court-métrage palmé ″Chienne d’Histoire″ de Serge Avédikian, l’exposition du photographe Antoine Agoudjian à Istanbul, la pièce de théâtre de Torikian portent la marque d’Anadolu Kültür …

anadolu-kultur.jpgL’homme d’action ne rechigne pas pour autant à s’intéresser aux controverses intellectuelles de ses amis universitaires (pour preuve : sa fameuse réplique dans le journal Radikal à Baskin Oran qui proposait de chercher un autre mot que génocide pour qualifier les faits), mais son objectif est ailleurs. Il ne s’occupe pas de front des sujets politiques, mais « permet de les surmonter culturellement » en créant « l’environnement propice à ces évolutions ». Cette personnalité intouchable n’émarge nulle part, et se garde bien d’adosser ses projets aux aléas du pouvoir ou aux impératifs médiatiques. Sa leçon est somme toute très simple : les idées n’ont de sens que sur le terrain. Un terrain que nous ne tardons pas à atteindre.

 


 

Diyarbekir – dans le pays perdu, où la mémoire affleure

 

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Enserrée dans ses remparts et longé en contrebas par le fourreau vert d’un méandre du Tigre, la ville que les arméniens aiment à considérer comme l’héritière de l’ancienne capitale Dikranakert donne l’impression de vivre à l’écart de la Turquie. Atatürk n’a droit qu’à une seule place où sa statue, son portrait et sa fresque se disputent l’attention des passants. Les murs de la vieille ville sont taguées de graffitis à la gloire du PKK. Les caravansérails offrent un peu d’ombre lorsque le soleil du désert prend ses aises ; l’influence arabe émerge par endroit. Lorsqu’on s’enfonce dans les ruelles labyrinthiques du centre historique et qu’on se mêle aux commerçants, le mot ″ermeni″ (arménien) n’est plus chargé de soupçons, mais devient un sésame ; ouvrant les vannes du souvenir, les kurdes rencontrés s’épanchent : sept-2011-499.jpgnombreux sont ceux qui nous souhaitent « bienvenue chez nous ». Un vieil homme nous raconte que son « grand-père [lui] disait qu’ils iraient tous en enfer pour avoir tué les arméniens », un autre nous explique qu’ici ne vivaient que des commerçants arméniens « kouyoumdji(bijoutiers), kazandji (chaudronniers), etc. », alors que les kurdes, eux, s’occupaient de « la viande » et étaient « sans maison » (des bergers, des nomades)… Les plus âgés rechignent à expliquer le génocide autrement qu’en montrant l’Etat turc du doigt; alors que les jeunes, débarrassés du tabou de la faute mais soudain encombrés par le fardeau de la mémoire, se sentent coupables.

 

Lors de nos échanges avec les membres de l’Agenda 21 (le conseil des associations étudiantes et lycéennes de la ville), prélude à des projets en commun, un certain nombre d’entre eux évoquent spontanément un aïeul ou un ancien voisin arménien ; une jeune femme nous raconte l’histoire de sa grand-mère arménienne, qui avait tenu à se rabaisser en faisant à quatre reprises le pèlerinage de la Mecque afin de faire oublier ses origines honteuses ; en les révélant devant ses amis, elle les prend ainsi à son compte dans un sursaut de fierté convalescente. « Hrant Dink a été une thérapie », conclura-t-elle en guise d’explication.

 

 

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L’acmé de cette prise de contact avec la mémoire ″in vivo″ a lieu le soir du lancement du Forum Social de Mésopotamie, une branche régionale du Forum Social Mondial (altermondialiste) qui a lieu cette année à Diyarbekir. Le maire Osman Baydemir a tenu à inviter le groupe musical Van Project en ouverture de l’événement, sur la scène en plein air vers laquelle toute la jeunesse de la ville converge. Il y a là en outre des kurdes d’Irak reconnaissables à leur turban, des palestiniens de Cisjordanie, quelques européens et des jeunes kurdes venus des régions environnantes. Des grappes de drapeaux et d’affiches marxistes, maoïstes, anarchistes, indépendantistes s’agitent ça et là, pendant qu’en préambule une succession de personnalités dont le sous-commandant Marcos et Evo Morales saluent sur un écran la foule qui chante Bella Ciao et l’Internationale en kurde. Quand vient le tour du Van Project, et que les premières notes de târ et de kanûn calent leur première mélodie, les gradins bruissent au rythme des notes qu’ils croient reconnaître. Le solo de dhôl soulève l’enthousiasme, et lorsque les chanteurs reprennent le refrain du Tamzara, le public chante avec eux, puis fait un triomphe à Sari Gelin, élevée au rang de chanson ambassadrice… Ironie du sort, Noraïr Kartashyan, le maître d’œuvre du groupe, n’a pas manqué de faire ovationner par le public conquis les 20 ans de l’Indépendance de l’Arménie qui tombait le jour-même!

 

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Le lendemain, les musiciens iront à la rencontre d'artistes et de conteurs du cru, échangeront avec les musiciens de l’académie de musique. De notre côté, nous rencontrons tour à tour l’association des droits de l’Homme, puis un certain nombre d’ONG de prisonniers politiques ou d’aide aux familles de disparus qui se révèlent être proches du PKK. Suivant les conseils du consul général de France à Istanbul, que nous avons longuement rencontré avec le sénateur Jean-Yves Leconte, nous éludons tout propos politique et ne nous attardons pas. Notre rencontre avec les journalistes locaux de Gün TV et de la presse écrite s’avère plus intéressante. En butte à la censure et aux arrestations, auxquels ils opposent une détermination éminemment politique, ces médias naviguent à vue au rythme des campagnes de répression.

 

sept-2011-457.jpgNous rencontrons enfin le maire de Diyarbekir Osman Baydemir. Ce personnage iconoclaste, pourtant issu du sérail indépendantiste kurde (dont le parti, le BDP, est proche du PKK) et blanchi sous le harnais de ses associations satellites (dont il a dirigé localement l’association mère, dédiée aux droits de l’Homme), est depuis devenu une des bêtes noires de l’Etat turc ainsi qu’un élément de plus en plus incontrôlable pour le PKK… Sa stature de maire de la capitale du Kurdistan turc, son approche plus politique – autonomiste - de la question kurde, son activisme tous azimuts en direction des minorités et tout particulièrement sa main tendue aux arméniens tendent à déverrouiller une ville symboliquement prise en otage entre les montagnes du PKK et les casernes turques, afin de la sortir de sa torpeur en développant son potentiel touristique et culturel. Sa mairie est la tête de pont de son offensive de charme : on y trouve une pléthore de services (relations avec la presse, relations à l’internationale, affaires culturelles) voués à promouvoir les projets municipaux et à capter la moindre initiative allant dans le même sens. Depuis sept ans, toute une panoplie de guides, de dépliants touristiques, de cartes de la ville en plusieurs langues (dont l’arménien) ont été imprimés. Des restaurations sont en cours, dont celle de l’église arménienne Sourp Giragos qui fait suite à celle de l’église chaldéene Sourp Meryem. Le musée de la ville, qui ouvrira ses portes en 2013 et dont l’objectif sera de « montrer qui a vécu comment dans cette ville », contiendra notamment les collections de photographie collectées parmi les arméniens de diaspora originaires de Diyarbekir et diverses collections privées.

Le maire nous reçoit des œillets à la main, qu’il distribue à chacun d’entre nous en guise de bienvenue. La mise en scène est bien rodée, et le discours est émaillé de formules calibrées déjà lues ça et là dans ses précédentes interviews. Présentant sa ville comme « la ville commune à toutes les ethnies », il nous souhaite « la bienvenue dans [notre] ville » , se qualifiant de « maire de tous les peuples de Mésopotamie » et espérant que « dans un avenir proche les chants des cloches se mêleront à ceux des muezzins » - allusion évidente à Sourp Giragos. S’ensuit l’évocation d’usage sur le génocide, qualifié « d’injustice », insistant sur les « très grandsept-2011-850.jpges peines qui pèsent sur [leurs] consciences », et donnant raison à ce que disaient les arméniens aux bourreaux kurdes lors du génocide : « nous, nous sommes le petit déjeuner, vous, vous serez le déjeuner ». L’avocat de profession navigue de périphrase en périphrase afin d’éviter une énième condamnation par la justice turque. Cette dernière l’a déjà poursuiv ie pour une affaire de cartes de vœux officielles où était imprimée  une lettre kurde illégale, l’utilisation prétendument abusive d’une ambulance appartenant à la municipalité et la signature d’une pétition contre la fermeture d’une chaîne  de télévision kurde qui lui  ont valu une interdiction de sortie de territoire à durée indéterminée... Il se rembrunit  soudain, racontant la première fois qu’il entendit une  musique kurde sortir d’un transistor : sa famille arrivait à capter Radio Erevan qu’ils écoutaient  en collant l’oreille pour ne pas faire trop de bruit. D’où son « désir de voir Erevan avant de mourir ».

La veille de notre départ, le groupe au complet est invité par le maire à dîner : au fur et à mesure des toasts, celui-ci célèbre de plus en plus crânement le retour espéré des arméniens, buvant à la mémoire apaisée et à l’ouverture des frontières…

 

Issu d’une diaspora sclérosée à la mémoire fossile, j’ai repris pied sur des terres qui parlentl’arménien mieux que moi ; et auxquelles un maire kurde, un mécène turc, et un nombre croissant de parfaits anonymes (qui viennent de redécouvrir leurs origines tues) tentent de répondre à ma place. Rien ne m’empêche dès lors, comme un nombre croissant d’arméniens de Turquie, de soutenir des kurdes qui se découvrent un aïeul arménien, de rendre compte et de soutenir les efforts des intellectuels turcs et du quidam kurde qui se débattent avec leurs démons. D’en faire leur fardeau  plutôt que le mien et de me projeter au-delà, sur ces terres laissées en friche où tout reste à faire.

 

Hrant-Dinkk-Caddesi.jpgDois-je me résoudre à rester un arménien hors-sol, alors que les vestiges restaurés tendent à retrouver leur identité perdue, que les rues bruissent d’anecdotes et que l’Histoire est enfin dite ouvertement ? Par quelle fatalité stupide devrions-nous laisser se produire un décalage entre une réalité du terrain en pleine mutation[1] et une diaspora figée, obstinément accrochée à son traumatisme ; prenant ainsi le risque d’entretenir un vide jusqu’à présent subi qui n’a dorénavant plus lieu d’être ?

 

Je me répète alors la réplique bravache de Dink, qui avait lancé à un journaliste turc: « Nous avons un œil sur ces terres ». Celui-ci (qui fut entendu au-delà de ses espérances) avait alors osé lui répondre « Hé bien rentres-y! »...

 

Son œil est plus que jamais sur ces terres, à présent. Mais son seul œil ne suffit déjà plus.

 

 

 

Publié dans les Nouvelles d’Arménie Magazine de novembre 2011

 



[1] dont entend profiter l’ONG Yerkir en organisant une série d’échanges avec des segments identifiés de la société civile sur place, en continuant de promouvoir la venue de spécialises et d’universitaires et en développant les évènements interculturels suite au succès du ″Van Project″

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24 mai 2007 4 24 /05 /mai /2007 10:14

Diaspora, ce qu’elle est et ce qu’il faut en attendre

« Je vais couper cette nation en deux.

Ensuite, j’en détruirais une partie

Pour sauver la seconde. »

Bretold Brecht (« La résistible ascension d’Arthuro Hui »)

Une communauté peut-elle se suffire à elle-même ? La nôtre est née d’un traumatisme dont les conséquences l’ont depuis crispé dans sa fatalité, une fatalité opposée à un horizon de principe appelé pompeusement « Cause arménienne »…

Mais qu’est-ce que la Cause arménienne dans un monde où l’Arménie est dorénavant une réalité et où les pays d’accueil, reconnaissant le traumatisme initial, ont mis une communauté dorénavant sans objectifs communs et vidé culturellement face à une logique de crise d’identité ? Le combat continue, donc, mais où va-t-il, puisqu’on lui dénie le chemin qui est le sien ?

… Voici, en quelques mots, le condensé un brin provocant de la problématique que nous vous proposons de suivre avec nous dans les numéros à venir : chaque mois, nous explorerons une des facettes d’une question qui nous concerne tous, puisqu’elle désigne l’état de fait inaccompli où nous (sur)vivons tant bien que mal en arméniens : LA DIASPORA.

Introduction à une série d'articles dans Haïastan dont le premier est: "Etre Hayastantsi ou mourir?"

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21 mai 2007 1 21 /05 /mai /2007 21:21

           Etre Hayastantsi ou mourir ?

Pour le premier opus, nous avons décidé de commencer par " la fin de la Diaspora " : L’ARMENIE. Une mise en bouche en plein dans l’actu puisque le parlement d’Erevan vient de statuer sur la double nationalité, créant une nouvelle donne pour une diaspora de plus en plus "terre à terre"…

Cet été, les arméniens se retrouveront à Erevan. Plus que l’année dernière (et sûrement moins que l’année prochaine), les rues se rempliront de touristes d’un genre particulier ; allant par groupe, par langue, par code vestimentaire, par coupe de cheveux. Des cafés en plein air de la place de l’Opéra aux nouvelles discothèques, les restaurants se rempliront d’une foule hétéroclite de familles venues des quatre coins du monde pour se retrouver sur leur seul pied à terre commun : l’espace de quelques mois, Erevan deviendra le parc d’attraction de la diaspora…

 

Cela fait encore quelques années, pourtant, la plupart des arméniens de la diaspora ne venaient au pays qu’en touristes, passant la semaine à le sillonner monuments par monuments et à jouer à cache-cache avec le premier d’entre eux, le mont Ararat…

Quelques chose a bien changé, donc ; mais ce n’est pas le pays (enfin, pas tant que ça) : quelques chose a changé dans le rapport des arméniens d’ailleurs avec l’Arménie… Et le temps est peut-être venu (s’il ne l’était pas déjà auparavant) de penser à la place de la diaspora en Arménie. Une place qui voudrait tendre vers celle des nationaux eux-mêmes, mais qui ne tient pas le même rôle ni n’a la même appartenance effective qu’eux vis-à-vis du pays réel.

Car si, l’été, la diaspora s’invite à Erevan et achète les plus beaux immeubles en rendant l’inflation immobilière insupportable aux classes inférieurs du centre-ville (dont les quartiers ont depuis été pulvérisés au profit des inflationnistes et des amateurs de bulding), elle ne vit pas son quotidien ; loin de là. Car un pays, ça se "supporte" (dans tous les sens du terme) ; et la diaspora revendique un rêve qu’elle ne tient pas encore. 

La nation a-t-elle encore un sens ?

Depuis la fin de la 1ère république d’Arménie et l’éparpillement diasporique, le pays n’a jamais réussit à renouer avec la nation. Deux choses devenues très vite différentes, mais qui, à l’époque, avaient chacune une signification assez forte pour perdurer puisque le pays était devenu une république soviétique, c'est-à-dire inclue dans une union politique commune de peuples fédérés, et la nation un concept politique caractérisant un peuple ayant l'objectif politique de maintenir ou de créer un état.

Ce qui en découlait - la volonté de faire un état représentant tout le peuple - passait alors aussi par la diaspora, d’où la division de principe qui a perduré tout au long de l’existence de la  2ème république d’Arménie entre une partie de la diaspora, nationaliste (Dachnag), se revendiquant d’une nation unie pour un pays uni antinomique avec le pays lui-même (qui était alors construit en une partie d’un tout politiquement anti-national) ; et l’autre partie, qui, par opposition (Ramgavar) ou appartenance politique commune avec le régime en place au pays (communiste), se suffisait ou revendiquait le pays effectif (soviétique).

La parenthèse du Nérkakht[1] résultait d’un avatar typiquement arménien du besoin du peuple de se revendiquer d’un pays et qui, pour les soviétiques, avait une toute autre signification que celle d’une unification nationale (plus pragmatique, démographique et propagandiste). Le désastre des Akhpar, ces nouveaux arméniens victimes, dans un pays exsangue, de la dernière vague de terreur stalinienne, consomma l’échec de la capacité d’absorption de la république soviétique d’Arménie qui aboutira, en 1956, à une vague de retour en France d’exilés cette fois "volontaires"[2].

Avec la chute de l’URSS, l’indépendance et la proclamation de la 3ème république d’Arménie permet la mise en place d’un Etat-nation en tant que tel, exception faite d’une partie de la nation qui ne sera pas intégrée par Levon Ter Petrossian dans la nouvelle constitution.

Pire, celui-ci inscrit cette division noir sur blanc en colmatant toutes les brèches susceptibles de mener un arménien nationalisé à l’étranger à la nationalité arménienne[3].

Parallèlement, la dissolution de la diaspora dans les pays d’accueil et son intégration dans leurs nations respectives a brouillé, en trois générations, une conscience nationale dont la reconquête, si elle a un jour lieu, devra dorénavant obligatoirement passer par la nouvelle Arménie.

Pour la diaspora, le lien à l’Arménie s’est fait en plusieurs étapes successives : une relation "humanitaire" consécutive au tremblement de terre de 1989, puis une relation touristique permise par l’indépendance et la libre circulation des biens et des Hommes, et, enfin, un rapprochement de plus en plus affectif et une fidélisation concrétisée par des liens commerciaux arméno-arméniens de plus en plus nombreux et par l’achat de biens immobiliers ou de terrains sur Erevan et les régions alentour.

Mais peut-on parler d’un reflux du sentiment national ? Cette partie de la diaspora a-t-elle réellement renoué avec la terre indépendante?

La question est d’autant plus intéressante qu’elle n’a pas de réponse précise, la diaspora s’étant développée inégalement selon les pays, les strates sociales, le degré d’assimilation, etc.

Elle est donc tout sauf homogène, présentant une palette contrastée d’arméniens comprise entre ceux qui n’ont d’arméniens que le nom et ceux qui n’ont de non arménien que leur pays de résidence.

Reste qu’il n’est pas du rôle de la diaspora de décider de la place que l’Arménie voudra bien lui donner en son sein : son véritable rôle est de prouver à l’Arménie que cette place est légitime et méritoire. Ce qui, cette année, a aboutit à la nouvelle loi sur la double nationalité[4].

 

L’esprit des lois

Loi hautement symbolique, la double nationalité a été possible dans un premier temps suite au référendum constitutionnel de 2005 visant entre autres à inscrire le droit à la double nationalité dans les fondations du pays. Par la suite, la FRA-Dachnaktsoutioun a inscrit sa proposition de loi à l’ordre du jour, rappelant que celle-ci était l’une des promesses du candidat Kotcharian.

A la base, celle-ci devait théoriquement permettre à tous les Arméniens du Monde de devenir citoyens de la république d’Arménie…

Mais, dans les textes, la nécessité de mise en pratique de la théorie nécessite une dissection et une mise à plat un brin plus pragmatique.

Pour résumer, toute personne ayant plus de 18 ans peut demander la double nationalité si:

-          elle a vécu sur le sol de la République d’Arménie pendant les trois dernières années précédant la demande

-          elle peut s’exprimer en arménien

-          elle connaît la constitution de la RA[5]

Outre ces conditions générales, peut avoir la double nationalité toute personne qui :

-          est marié(e) avec un(e) citoyen(ne) de la RA

-          a un enfant qui est citoyen de la RA

-          a un ou les deux parents qui ont précédemment obtenu la citoyenneté, sachant qu’elle doit obligatoirement faire sa demande dans les trois années suivant ses 18 ans

-          a des ancêtres arméniens

-          a, depuis le 1er Janvier 1995 au plus tôt, perdu sa nationalité arménienne dans le cadre d’une naturalisation dans un pays étranger

De plus, toute personne ayant rendu des services importants à la RA sans avoir remplit une des conditions requises peut recevoir la nationalité arménienne à titre exceptionnel

 

 

La personne doit faire la demande de nationalisation personnellement et en son seul nom propre auprès des autorités compétentes (ambassade).

Cette décision est prise sous l’ordre du président de la RA.

Cette demande peut être refusée si la personne présente des risques pour la sécurité de l’Etat, la sécurité intérieure, la sécurité sanitaire, vis-à-vis de la liberté et des droits des autres nationaux. D’ailleurs, le refus d’une nationalisation n’a pas à être nécessairement justifié auprès de la personne concernée.

Toute personne recevant la nationalité fait le serment suivant en arménien: « moi, …, en devenant citoyen de la République d’Arménie, je fais le serment d’être obéissant vis-à-vis de la RA, de suivre sa constitution et ses lois,  de protéger son indépendance et son intégrité territoriale. Je me dois de respecter la langue, la culture populaire et les habitudes de la RA »

Après signature de la version écrite de son serment, il lui est remit un exemplaire de la constitution et des indications sur les différentes institutions de l’Etat.

Deux autres questions importantes ont été réévaluées : le service militaire et les droits liés au vote (participation aux élections et éligibilité) :

- sont exemptés de service militaire tous ceux qui ont rempli leurs obligations dans leur pays de naissance pendant au moins 12 mois (à contrario, le fait d’avoir la nationalité d’un autre pays suite à la nationalité arménienne n’exempte pas de service militaire en RA même si un service militaire de plus de 12 mois a été effectué dans le second pays).

- le double national ne peut pas briguer la présidence de la République, la députation, ou devenir membre du Conseil Constitutionnel mais peut faire partie du gouvernement ou devenir premier ministre.

- le double national ne pourra voter à un scrutin que sur le sol national (exception faite des diplomates), s’il a une adresse légale permanente dans le pays, et s’il a résidé au minimum 183 jours en Arménie durant les cinq années précédant le vote concerné.

 

 

 

Ce qui résulte de la loi finalement votée, et dont j’ai essayé, ci-dessous, d’énoncer les points principaux de la façon la plus précise possible, présente quelques différences importantes avec la loi proposée initialement. Si la plupart des partis – et notamment le Parti Républicain qui dirige la majorité parlementaire et la coalition gouvernementale actuelles - s’opposaient à la loi dans sa bouture initiale,  cette dernière a finalement voté pour une loi amandée par ses soins (l’amendement concerne principalement la mise sous conditions du volet "droit de vote" et les restrictions du droit à l’éligibilité).

S’il faut avoir à l’esprit qu’aucune autre force politique arménienne que la FRA n’était prête à signer une loi dite « diasporique » élaborée par un parti encore trop souvent perçu en Arménie comme le parti de « la diaspora », le Parti Républicain lui-même ayant eu de fortes réticences à voter la loi (seules les pressions exercées par Kotcharian ont d’ailleurs eu raison de ses réticences), force est néanmoins de constater que ces modifications entament l’esprit de la loi initiale et sa volonté affichée de tendre vers « une nation, un peuple, un Etat »…

De la diaspora à l’Arménie

Cette année, donc, deux évènements importants ont marqué le rapprochement de la diaspora française avec l’Arménie : d’une part, l’Année de l’Arménie en France, qui a aussi permis de mettre en lumière la collaboration d’égal à égal d’artistes, stylistes, couturiers, chefs d’entreprise (comme Serge Avédikian, Karine Arabian ou les frères Tarloyan) avec la main d’œuvre et le savoir faire de l’Arménie, et, d’autre part, la loi de la double nationalité, qui a eu le mérite de "marquer le coup" de la relation privilégiée qui prévaut depuis quelques années entre les arméniens d’ailleurs et ceux d’Arménie. Cette relation, dans certains cas intéressants, s’est déplacée ainsi sur un terrain professionnel, personnel, quotidien et surtout banalisé. Pourquoi banalisé ? Parce que ceux qui, jusqu’à présent, allaient en Arménie pour aider l’arménien ont été passés de mode par le pays lui-même ; comme en témoignent les déclarations abruptes de certains ministres qui, ces dernières années, ne cessaient de répéter que l’Arménie n’avait plus besoin de pull usagé ou d’aide humanitaire (au sens primaire du terme) : exit donc la mentalité du sauveur… Nos esprits pieux, cantonnés au plaisir attrape cœur du tourisme estival et à l’aide à l’Artsakh (qui, lui, a encore besoin qu’on en prenne soin) s’en tiennent depuis à un rôle de spectateurs dans la construction de l’Arménie et laissent la place libre à une nouvelle classe d’arméniens de la diaspora, industrieux et "profiteurs" (dans le bon sens du terme), qui échangent avec l’Arménie comme ils échangeraient avec une firme chinoise ou des sous-traitants espagnols ; à une nuance près (et pas des moindres) : pour eux, l’Arménie n’est pas un choix innocent !

Cette nouvelle classe n’est pourtant pas celle susceptible de profiter dans l’immédiat des dispositions de la nouvelle loi : les privilèges accordés aux étrangers menant une activité économique en Arménie étant trop avantageuses pour s’en priver en devenant citoyen… Mais en prenant en compte l’éventualité du passage du statut d’investisseur étranger à celui d’entrepreneur sur place, c’est cette classe d’arméniens qui pourrait être amenée à être la plus demandeuse de la double nationalité dans un moyen terme et la plus utile à l’Arménie.

A qui profite donc cette loi dans l’immédiat ? A ceux qui ont un lien de sang avec des citoyens de la république d’Arménie, aux émigrants de l’après-URSS fraîchement naturalisés en France, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, au Canada, au Liban, en Syrie[6]; ainsi qu’à tout arménien de diaspora qui ressent le besoin de rationnaliser son lien avec l’Arménie.

 

De l’Arménie à la diaspora

C’est donc une loi symbolique, au pouvoir d’attraction contrasté, à fort potentiel sur un long terme, mais aussi très discutée, puisqu’elle a été votée par 66 voix pour, 5 contre et 1 abstention (ainsi qu’une partie de l’opposition qui n’a volontairement pas prit part au vote); qui est entré en vigueur il y a de cela quelques mois sans avoir néanmoins eu la couverture médiatique qu’elle aurait pu espérer… Est-ce pour autant le signe d’un désintérêt des arméniens du pays envers des arméniens "rapportés" ? La réponse est bien plus simple : cette loi ne les concernant pas directement, elle ne fait pas partie des préoccupations premières des arméniens d’Arménie. Un désintérêt à double tranchant puisque, si l’impact du vote d’une telle loi sur l’opinion publique arménienne a été inexistante,  c’est aussi précisément parce que l’écho n’a pas été énorme qu’elle n’a heureusement pas fait les frais de polémiques indignes pourtant prévisibles en pleine période préélectorale[7]. L’opposition aurait par exemple pu accuser le gouvernement de vouloir faire voter l’étranger en sa faveur en donnant le droit de vote à ceux qui ne « savent pas ce qui est bon pour le pays puisqu’ils n’y habitent pas » ! [8]

 

 

Au lieu de ça, la loi a été précédée par des débats de fond qui, bien que cantonnés à un cercle d’experts et de politiques, ont permis d’élaborer une loi-miroir de ce que pense en substance le citoyen arménien lambda en pleine possession de ses droits face aux doubles nationaux qui revendiquent la pareille.

Car une seule chose différencie le "double national" du "national" : les droits politiques qu’a l’un en plus de l’autre. Cette disposition discriminante, légitimée par une opinion très répandue en Arménie, est assez bien résumée par Tigran Torossian, président du Parlement arménien, qui dit que : « Nous avons cette Arménie parce que des Arméniens y sont restés. D’autant plus que ceux qui ont vécu en Arménie au cours des quinze dernières années ont supporté une grande responsabilité, passant par de nombreuses privations. Par conséquent, ceux qui résident en permanence en Arménie, ceux qui portent le fardeau, et qui subiront les conséquences in fine, ceux-ci ont le droit de décider pour eux, d’être l’électeur et l’élu. Sur ce plan, donc, l’exception sera faite pour ceux des doubles nationaux qui seront enregistrés en Arménie, et donc pourront voter ».

L’idée, résumée en deux mots, serait que seul celui qui vit dans un pays et qui en supporte les conséquences peut décider de ce qui est bon ou non pour ce pays, puisqu’il choisit par ce biais ce qui est bon pour lui.

Une idée qui, malgré tout le mal que peuvent en dire les nombreux biens pensants de la diaspora avides de responsabilités ad oc et persuadés d’avoir une capacité de jugement égale (sinon supérieure) aux arméniens d’Arménie sur tout ce qui concerne le (leur ?) pays, est loin d’être absurde… Mais qui pourrait présenter, à terme, le risque de mettre en application une citoyenneté à deux vitesses ; en admettant que le succès de la loi fabrique sur un long terme une nouvelle classe de sous-citoyens devenus partie prenantes incontournables de l’économie et de la société arménienne mais privés, malgré leur importance éventuelle, de toute influence palpable sur "la vie de la cité". Un avenir encore lointain, mais souhaitable… Car elle nous permet de supposer qu’une telle loi n’est pas immuable et qu’elle pourrait, dans le cas où l’évolution de la société la déborderait, sauter le pas vers une égalité pleine et entière des droits entre nationaux et doubles nationaux.

En l’état, donc, le fait de dire que seuls ceux qui sont corps ET âme avec l’Arménie peuvent décider pour elle (et pour eux par la même occasion - cqfd) est un bon consensus.

Un avenir possible ?

Reste qu’il n’est pas de notre ressort (nous, les diasporiques) de soumettre notre avis à l’Arménie et de faire la fine bouche, mais de mériter notre place en son sein en devenant partie prenante de sa croissance et de son développement (dans tous les sens du terme : culturel, économique, social, etc.) ; démontrant ainsi qu’on est tributaire d’une place digne de ce nom. Seuls l’Arménie et ses habitants pourront alors décider, dans leur intérêt (qui passera alors par nous), de la place qu’ils entendent nous donner dans leur pays… Notre pays ?!...

Car si aujourd’hui, le destin national ne se superpose pas à celui de la diaspora, il pourrait devenir son nouveau destin. D’aucuns soutiendront que l’identité de la diaspora est distincte de celle de l’Arménie, et ils auront raison[9].

Mais je n’ai jamais dit qu’il fallait chercher l’identité de la diaspora en Arménie.

Juste qu’il fallait s’en faire une autre là-bas, peut-être…

Voilà donc, d’après moi, la seule solution viable possible au jour d’aujourd’hui au problème de la diaspora, l’antidote offert à la fatalité de sa disparition prochaine…

L’Arménie comme fin heureuse de la Diaspora !

 

Article paru (en version courte) dans Haïastan de juin 2007


 


 

[1] le retour d'Arméniens de la diaspora dans l'Arménie soviétique rendue possible par Staline en 1946

[2] rendue possible par la visite de Christian Pineau, ministre des affaires étrangères français, à Erevan, et par le XXème congrès du Parti communiste

[3] A moins, naturellement, qu’il abondonne sa nationalité d’origine

[4] votée le 26 février et ratifiée le 6 mars par le président Kotcharian

[5] République d’Arménie

[6] …et dans tout autre pays autorisant la double nationalité 

[7] les législatives auront lieu le 12 mai 2007 et les présidentielles, en 2008

[8] On ne peut évidemment pas douter des arrière-pensées politiciennes qui se cachent derrière la méfiance des uns et l’enthousiasme des autres vis-à-vis d’un nouvel électorat qui profiterait plus aux uns qu’aux autres. Mais dans la mesure où cette variable n’entre pas dans un débat de fond… On ne s’y attachera pas !

[9] l’orthographe mesropienne[9], par exemple, est une des preuves les plus intéressantes et les plus fortes symboliquement de cette distinction prégnante. (L’orthographe initiale, dite Mesropienne - qui est aussi celle de la diaspora - a été simplifiée dans les années 30 par le régime soviétique pour diverses raisons plus ou moins évidentes (alphabétisation, création d’un vecteur de division culturelle de la nation arménienne entre la diaspora et l’Arménie soviétique, etc.). Aujourd’hui, certains universitaires et intellectuels d’Erevan se sont remis à publier et à écrire dans l’ancienne orthographe, mettant en avant la nécessité de recouvrir une unité orthographique comme préfiguration d’une unité culturelle retrouvée avec la diaspora ou, plus simplement, pour pallier aux nombreuses lacunes orthographiques de la nouvelle orthographe…)

 

 

 

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12 mai 2007 6 12 /05 /mai /2007 09:10

Paris donne une place en son sein à Chavarche Missakian

Temps fort de la saison arménienne à Paris, la place Chavarche Missakian a été inaugurée le 11 avril face au square Montholon par Arpik Missakian et Bertrand Delanoë à l’initiative de Jack Bravo, maire du 9ème arrondissement et en présence d’Edouard Nalbandian, ambassadeur de l’Arménie en France. L’occasion, en attendant l’exposition prévue fin juin en clôture de l’Année de l’Arménie à la mairie du 9ème, de se rappeler du nom du journaliste et fondateur de Haratch, qui fut l’une des figures déterminantes d’une époque durant laquelle le centre intellectuel de la diaspora arménienne se nichait dans une poignée de petites rues parisiennes…

 

Il y a tout d’abord ceux qui, venus voir l’inauguration d’une place "pour les arméniens", se demandent, étonnés, pourquoi le 9ème arrondissement n’a pas plutôt fait, comme les autres, une « Place de l’Arménie » pour marquer le coup… Ce sont d’ailleurs les mêmes qui avoueront, l’instant d’après, ne pas savoir qui est Chavarche Missakian !

Et puis, il y a les autres : les derniers témoins d’une époque révolue, la garde rapprochée du quotidien Haratch qui serrent les rangs autour de celle sans qui le quotidien des Arméniens de France ne se ferait plus en arménien, les officiels, responsables d’association, dignitaires religieux, historiens, militants Tachnag venus rendre hommage à l’un des leurs, etc.

Enfin, il y a Arpik Missakian. A elle seule, elle fait mentir une cérémonie sous forme de commémoration en y apportant la gageure de la continuité qu’elle représente : fille de Chavarche Missakian, elle dirige Haratch, le quotidien en langue arménienne crée il y a 82 ans par son père et qui, depuis, n’a cessé de paraître qu’une seule fois : pour entrer dans la clandestinité le temps de l’occupation nazie. Un journal qui, à l’époque, était vendu à la criée et dans les kiosques des rues arméniennes du 9ème arrondissement. Dans lequel, pour la première fois, avait été prononcé le mot "génocide" – écrit en grosses lettres latines en titre d’un édito de Charvarche Missakian – ; invitant ainsi les arméniens à sauter le pas de l’Histoire. Un journal, enfin, où les Chahnour, Sarafian, Nartouni, Bechiktachlian et autres intellectuels de renom de l’époque trempèrent régulièrement leur plume…

Le temps d’une inauguration, la rue Lafayette s’est remplie d’une foule hétéroclite d’arméniens qui ne se doutent pas, pour la plupart, qu’ils sont en plein milieu d’un quartier où, dès l’entre-deux guerres, sont passés les plus grands intellectuels arméniens post-24 avril. Un quartier qui a vu l’émergence, rendue indispensable par l’assassinat de la plupart des artistes référents de la culture arménienne du début du XXème siècle, d’une nouvelle génération d’écrivains et de poètes arméniens dont la singularité, dû au déracinement et aux nouvelles influences culturelles (notamment le surréalisme), était alors une force. Et dont les œuvres se perdent aujourd’hui, en diaspora, avec la langue qui les a faite.

Chavarche Missakian était un homme de cette époque-là. Né en 1884 à Zimmara, un petit village perdu en Anatolie, rien ne le prédestinait alors à se retrouver un jour à Paris. Il quitte la province de Sébaste pour Constantinople (actuelle Istanbul) où il passera, au gré des fermetures d’écoles arméniennes, la plupart de ses études primaires et secondaires.

Dès l’âge de 16 ans, il collabore à divers journaux arméniens et publiera, en 1908, un premier hebdomadaire littéraire, profitant de l’engouement intellectuel et politique suscité par la proclamation de la nouvelle constitution ottomane. Membre actif du parti Tachnagtsoutioun (fédération révolutionnaire, socialiste et nationaliste), il est envoyé en 1911 dans la ville de Garine (actuelle Erzeroum) afin de reprendre en main le quotidien Haratch dont le rédacteur en chef vient d’être assassiné. Ce voyage en Arménie historique le marquera profondément. A son retour à Constantinople, il intègre la rédaction du quotidien Azadamard… Jusqu’au 24 avril 1915.

Il est alors sur les listes des intellectuels arméniens à éliminer mais parvient à passer entre les mailles du filet et continue, pendant près d’un an, d’envoyer clandestinement des articles aux journaux arméniens de Sofia ou Bakou. En 1916, tentant de fuir en Bulgarie, il est arrêté et emprisonné par les Turcs. Longuement torturé, il tentera à plusieurs reprises de se suicider pour mettre fin à ses souffrances, puis sera condamné au bagne d’où il ne sortira qu’à la faveur de l’armistice : il fait alors partie des rares intellectuels à avoir survécu, mais en gardera des séquelles physiques tout sa vie.  Revenu à Constantinople, il prend la direction du journal Djagadamard, puis émigre en Bulgarie d’où il est ensuite envoyé à Paris par le parti Tachnag pour animer la toute nouvelle communauté arménienne qui s’y est formé. Il se chargera d’organiser les jeunes de la "nouvelle génération " en fondant le Nor Seround (principale organisation de jeunesse militante, affiliée au Tachnagtsoutioun) et en leur offrant un journal, Haïastan, qui est encore publié aujourd’hui.

 

Mais sa grande œuvre, en tant que journaliste, est la publication, dès 1925, du "nouveau" Haratch (traduction arménienne de l’exhortation "En avant !"). Plus qu’un organe d’information, le quotidien en langue arménienne se définit alors comme le lien grâce auquel « les membres d’une même famille se regroupent après la tragédie de 1915 ; y retrouvant un peu de lumière d’Arménie, du pays quitté malgré soi, terre perdue vers laquelle on rêve de retourner bientôt ». Le journal jouera ainsi un rôle important dans le milieu intellectuel arménien dès  l’entre-deux guerre grâce à ses suppléments littéraires et par une large place faite aux écrivains contemporains qu’il publiera chaque jour sous forme de feuilletons inédits.

Chavarche Missakian tiendra ainsi une grande place dans la vie de la communauté arménienne de France ainsi que dans celle du 9e arrondissement jusqu’à sa mort le 26 janvier 1957. Les arméniens, reconnaissants, lui réservent alors des funérailles "nationales" et l’enterrent au Père Lachaise.

C’est à cette figure-là qu’a voulu rendre hommage le Conseil de Paris en adoptant, le 16 octobre 2006, l’initiative des élus du 9ème de lui donner une place; à cette personnalité forte, symbolique, que Bertrand Delanoë, au cours de son discours, qualifiera d’homme « fier de ses valeurs et de l’Histoire », « fier d’être arménien et d’être parisien (et qui) honore Paris en prenant toute sa place dans la profondeur de notre identité ».

Quant au maire du 9ème arrondissement, Jacques Bravo, dont le premier mot appris en arménien a été " Haratch ", il raconte volontiers que sa première réunion politique a eu lieu dans la salle de la maison de la culture arménienne de la rue Bleue , régulièrement prêtée à la mairie, illustrant ainsi dans quelle mesure les arméniens font partie du " paysage " de son arrondissement.

Reste surtout, finalement, la volonté de marquer la personnalité emblématique d’une époque et d’un quartier d’arméniens qui, avec leurs dix imprimeries, leurs cercles et revues littéraires, politiques, satiriques, médicales, mais aussi leurs restaurants, diamantaires, épiciers, ont permit à une aventure intellectuelle unique en son genre d’avoir lieu…

Article paru dans les Nouvelles d'Arménie de mai 2007

 

 

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES :

En français :

" Cinquante ans de littérature arménienne en France », Krikor Beledian, aux CNRS EDITIONS (2001) En arménien :

« Orér yév Jamér » (jours et heures), Ch. Missakian, imprimé aux presses du journal Haratch choix de textes en langue arménienne écrits entre 1908-1957, publiés à titre posthume

« Haratch 50 », recueil d’un choix de textes publiés dans Haratch de 1925 à 1975 par de grandes signatures,  imprimé aux presses du journal Haratch (1976)

 

A SUIVRE :

Fin juin, en clôture de l’année de l’Arménie en France, la mairie du 9ème arrondissement parrainera une exposition retraçant la vie de Chavarche Misskain organisée par la F.R.A. Nor Seround, le mouvement de jeunesse arménienne qu’il a crée. Depuis ses débuts dans le milieu intellectuel au sein de l’Empire Ottoman, jusqu’à la création du premier quotidien arménien de France à Paris, l’exposition fera voyager les visiteurs dans le temps et dans l’espace.

Des photos, des témoignages, des objets personnels, des éléments biographiques qui permettront de mieux cerner la personnalité et les idées de cet intellectuel mis à l’honneur avec l’inauguration de la place Chavarche Missakian.

 

Les informations complètes seront bientôt disponibles sur http://www.mairie9.paris.fr

 

 

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3 mars 2007 6 03 /03 /mars /2007 14:12

De l’Arménie à la France : un nouvel exilé raconte…

Immigrée de fraîche date en France, Digin Kartouhi a bien voulu nous raconter l’histoire de son cheminement clandestin d’Erevan à Paris. Une histoire qui rejoint celles des milliers d’autres arméniens sans papiers arrivés en France pour survivre ces dix dernières années.

Par prudence, certains noms et détails ont été modifiés dans le but d’assurer l’anonymat du témoin interrogé sans pour autant entamer la valeur du témoignage retranscrit de l’arménien aussi fidèlement que possible.

 

Un appartement niché dans un reste de cité dortoir perdu au fin fond de la banlieue Est de Paris, au sixième étage d’un bâtiment gris sale hérissé de paraboles, par un terne après-midi de dimanche. Digin Kartouhi s’était assise sur le sofa, nos deux tasses de café brûlant posés sur la table basse du salon. On entendait au dehors le grondement incessant de la nationale, sporadiquement entrecoupé des cris de quelques jeunes qui jouaient dans un petit stade en contrebas…

La veille, je lui avais prudemment expliqué au téléphone les circonstances inhabituelles de la visite que je lui sollicitais. Après une légère hésitation, elle avait accepté de me recevoir. Parce que ça ne se refuse pas chez nous, aurait-elle pu dire.

Elle était assise dans son tablier propre, petite silhouette volontaire échangeant avec ferveur des bénédictions à chaque évocation de nos connaissances communes, le temps de prendre quelques nouvelles… Avant ma première question. Elle hésita. Puis, après avoir silencieusement porté la tasse jusqu’à ses lèvres, commença son récit.

D’Erevan à Moscou

« Avant, nous n’avions pas besoin de beaucoup pour vivre. Mon mari allait travailler 6 mois dans l’année à Moscou, comme beaucoup de jeunes hommes, laissant femme et enfants à Erevan jusqu’en automne. Il y gagnait 400 roubles par mois. Moi, je gagnais 200 roubles comme fonctionnaire (sachant qu’un dollar faisait 60 kopeks). Avec 8 roubles et 73 kopeks, nous payions le loyer mensuel pour 3 chambres, et épargnions le reste pour les vacances, dans notre datcha (cabanon de campagne) du lac Sevan. Nous étions même parvenus, à la fin des années 80, à acheter une maison près d’Erevan…

Puis, le communisme est tombé. L’inflation, les retards de salaires, les augmentations de loyer nous ont mis en difficulté. Le tremblement de terre avait abimé notre maison, et nous ne trouvions plus de travail décent pour gagner de quoi vivre décemment. Avec la guerre du Haut Karabakh, les réfugiés des districts de Chahoumian et Kédachén étaient venus se réfugier à Erevan. Confrontés à la précarisation de la vie dûe aux conséquences du tremblement de terre, de l’instabilité économique et de la guerre, nous avons alors décidé de partir à Moscou où mon mari avait quelques connaissances. Pour gagner un peu d’argent ; de quoi remettre la maison sur pied, envoyer un pécule à notre fille restée là-bas... Et vivre.

Là-bas aussi, beaucoup de choses avaient changé. La situation n’était pas bien mieux qu’à Erevan et les moscovites supportaient de moins en moins les étrangers: ils nous apostrophaient dans le tramway, nous traitaient de « tchornajopi, cavcastsi » (culs noirs, caucasiens) et nous criaient « Yéjatsié vatch karabakh » (retournez dans votre Karabakh).

Nous nous sommes alors résolus à faire comme les autres : entrer dans un office de tourisme russe et demander s’ils faisaient dans les "voyages organisés". Pour 1200 dollars par personne, ces passeurs d’un nouveau genre te donnaient un faux passeport russe que tu devais leur rendre une fois arrivé à destination et dont seule la photo ne mentait pas. Parfois, certaines personnes payaient et attendaient leur visa en vain, les passeurs leur rendant l’argent au bout de quelques mois. Nous, il nous fallut attendre tout juste un mois avant de quitter la Russie en train pour Berlin avec un visa de tourisme d’une semaine tamponné en bonne de due forme.

Dans notre groupe, il y avait des géorgiens, des arméniens, des russes, des azéris… Une fois arrivés là-bas, on nous lâcha à la gare et nous nous dispersâmes dans Berlin. Quelques jours passés dans un petit hôtel, et on alla vivre à Stuttgart où nous étions parvenus à entrer en contact avec un lointain cousin. Un an, nous avons vécu là-bas de travail au noir, en clandestins, attendant la réponse à notre demande d’asile. Mais les lois allemandes étaient sévères. Et notre demande fut refusée. Un ami de notre cousin, de passage à Stuttgart, nous raconta que la France était plus souple en matière de demande d’asile: nous partîmes précipitamment pour Paris…

Destination France

« Je me souviens de la garde de l’Est et du dénuement total dans lequel nous étions. Nous n’avions pas de papiers, pas d’endroit où aller, pas de connaissances, pas d’argent : nous n’avions rien. Au bout de quelque heures, nous sommes tombés sur un homme serviable à qui nous avons fait comprendre que nous ne savions pas où aller. Il composa pour nous le 115 et nous dit d’attendre. Le Samu social vint nous prendre et nous emmena dans une cantine, puis dans un hôtel, où nous restâmes trois jours. Dès le deuxième jour, je me débrouillai pour trouver l’adresse de l’église arménienne de Paris et le dimanche suivant, je me retrouvai, émerveillée, parmi la foule des croyants de la rue Jean Goujon. C’était la première fois depuis mon départ d’Arménie que je me retrouvais parmi autant d’arméniens. Je me sentis revivre : j’étais revenu parmi les miens ! Je me suis dit que tout irait mieux, désormais… J’étais facilement parvenu à trouver des personnes avec qui discuter de ma situation. Et, de fil en aiguille, je trouvai mon premier emploi : un travail de femme de ménage.

De son côté, mon fils était allé au Cimade (une association d’entraide aux demandeurs d’asile et clandestins en voie d’expulsion) où on nous trouva une traductrice russophone. On nous aiguilla vers France Terre d’Asile, qui nous trouva un foyer en banlieue et nous aida à remplir les formalités nécessaires pour demander l’asile en France. Une fois les papiers de la demande remplis et envoyés à l’OFPRA (office français de protection des réfugiés et apatrides), celui-ci nous donna un rendez-vous à Fontenay-sous-Bois pour une "interview" : nous y insistâmes sur les problèmes de racisme subis en Russie, mais nos arguments ne suffirent pas. Une fois le refus signifié, nous avions 1 mois de délai pour demander un recours à la CCR (commission des recours des réfugiés). Mais nous ne pouvions plus nous y rendre seuls : il nous fallait un avocat. Nous nous trouvâmes un avocat arménien, un homme très bon qui prit notre dossier complètement en charge, ne nous demandant  constamment qu’une chose : apporter des preuves de notre présence passée en Russie et répondre à une série de questions qui lui permettraient, à terme, d’amasser assez d’informations pour bâtir un recours solide. Nous nous laissâmes alors guider par notre avocat, qui obtint une audience dans un tribunal de banlieue spécialisé dans notre cas. Le jour dit, donc, nous nous assîmes face au juge, un vieil homme que certains disaient magnanime envers les arméniens, à côté de qui se trouvait la personne de l’OFPRA qui nous avait refusé l’asile, dans une des nombreuses salles où se succédaient sur rendez-vous des candidats au titre de séjour… Et nous laissâmes faire notre avocat.

Du haut de toute sa taille, il semblait maîtriser toute la salle, toute l’affaire, et la plaidoirie qu’il fit avait un effet palpable sur les gens présents. Il invoqua le destin des arméniens : la guerre, les brimades et le génocide. Il prit ses grands parents pour témoins de l’exil et acheva son argumentaire en expliquant qu’une famille polyglotte, jeune, et désireuse de travailler ne pouvait que profiter à la France… Vingt et un jours plus tard, notre dossier était accepté »

Au-delà d’un titre de séjour…

 

Je lui demandai enfin si elle avait été heureuse de recevoir ce titre de séjour de dix ans. Elle réfléchit un peu, puis, un brin désolée, me dit que la seule chose pour laquelle elle était contente était la liberté qui lui était donnée de travailler librement sans craindre chaque jour l’expulsion. Mais être heureuse, non. Elle avait laissé sa maison, sa famille, et n’avait toujours pas de moyen de refaire sa vie là-bas : elle était là par la force des choses. En exilée.

Digin Kartouhi tapota sur le cul de la tasse retournée tout en rendant grâce à l’avocat arménien qui les avait si bien défendu, mais ne voulu pas s’appesantir lorsque je lui demandais si elle pensait avoir trouvé sa place dans la communauté arménienne de France. Certaines personnes l’avaient beaucoup aidé, me dit-elle tout au plus, alors que d’autres lui avaient reproché d’être là... Où était sa place? Elle ne la cherchait pas.

Elle prit sa tasse et la retourna habilement, scrutant le marc avec attention, avec un sens du fatalisme très "arménienne". Malgré tout le chemin parcouru, elle semblait dire par ce geste qu’elle croyait toujours un peu à cet avenir tenu dans le creux d’une main, gravé dans une tasse vide… 

article publié dans les Nouvelles d'Arménie Magazine de Mars 2007

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24 février 2007 6 24 /02 /février /2007 11:47

Istanbul, 19 janvier 2007: Le jeune homme, un bonnet blanc vissé sur le front, déboucha au coin de la rue. Il attendait depuis quelques heures déjà, le portrait de sa cible en tête, perdu dans une ville qu’il ne connaissait pas, lui, le gamin paumé de Trabzon.

Après avoir risqué un bref coup d’œil devant lui, il dû reprendre son souffle, lever la tête, crisper sa main sur le canon de l’arme qu’on lui avait donné, et se jeter vers l’homme qui lui tournait le dos. Trois balles à bout portant. Une pour le cœur, une pour la gorge. Pour qu’il ne (se) batte plus, pour qu’il se taise… Pour qu’il arrête. Une pour la tête. De dos...

 

 

On ne tue pas un homme qui se bat. On l’abat, tout au plus.

Sur un trottoir, face contre terre.

« Tu as perdu ceux que tu aimais : tes enfants, tes petits-enfants. Tu as perdu ceux qui sont venus pour t’éliminer, tu as perdu mon étreinte… Mais tu n’as pas perdu ton pays »

Rakel était en larmes. Face à elle, une foule innombrable l’écoutait dire son homme, son mari, le père de ses enfants, son frère, la « moitié de mon âme » perdu. Une foule qui SAVAIT enfin et qui ne pourrait plus dire « on n’a pas vu mourir l’Arménien ! », une foule qui avait à l’esprit la mort en état de cause, en signification !

Un arménien était mort ; et son tueur avait rappelé aux médias mortifères qu’il était mort parce qu’il était ARMENIEN. Un mot…. Hier, une insulte ! Mais qui, aujourd’hui, revenait comme un drap blanc qui claque, maculé d’un sang qu’on ne voulait pas voir et que le vent soulève.

Non, Rakel, il n’avait effectivement pas perdu son pays : son pays[1] l’avait perdu. En faisant de lui un homme en sursis selon les lois en vigueur[2], son pays en avait fait un « traître »[3].

Mais il n’avait pas perdu son pays : sa Turquie à lui était là, dans la foule innombrable qui criait son nom et suivait son cercueil vers son dernier combat. Son pays, là, à cet instant-là, il l’avait au contraire gagné contre sa vie.

 

                                               Qui était Hrant Dink ?

Pour nous, arméniens de diaspora, il n’était pas grand-chose. Je le dis de façon à ce, qu’une bonne fois pour toute, on sache que nous n’avons aujourd’hui aucun droit de le récupérer pour nous et de se sentir dépossédé. Il n’était d’ailleurs pas arménien de diaspora.

Lui, habitait encore son pays. Parlait, pensait, écrivait sa langue. Lui, faisait partie d’un monde où le génocide ne s’était pas achevé, où on vivait encore par-delà le drame, où ce fatalisme propre à la diaspora était banni, redouté, condamné. Lui, combattait le génocide de l’intérieur. Lui, ne « mendiait pas »[4] pour qu’on LE reconnaisse. Et ne s’abaissait pas à répondre au bourreau qui lui disait : « Prouve-le »[5]. Lui, n’avait pas abdiqué face au drame ; car, contrairement à nous, il n’avait pas échoué à circonscrire le génocide[6]… Il était, par sa personne même, le symbole vivant que le génocide arménien ne s’était pas achevé : et il le prouvait chaque jour en criant sur tous les toits turcs qu’il était arménien[7]. Qu’il était le dernier intellectuel arménien de Bolis. Celui qui avait échappé à la rafle du 24 avril 1915[8].

Aujourd’hui, d’autres ont abdiqué  pour lui en le tuant, et en achevant ainsi le génocide arménien. En faisant de lui la dernière victime du génocide arménien. La dernière victime d’une chose qui, par son achèvement même à la face des Turcs, va créer l’électrochoc nécessaire à leur prise de conscience d’un drame auquel ils sont tous mêlés (avec nous). Orhan Pamuk ne dit-il pas : "Nous sommes tous responsables de sa mort d'une certaine façon" ?

Alors, qui était Dink ? Il était l’Arménien des Turcs. Dans le sens noble du terme.

Dink était celui qui leur prouverait sans leur dire qu’il y avait un jour eu un peuple là où ils étaient, et que ce peuple était encore là, dans une infime part, prêt à revivre dans son pays à leurs côtés. Dink était l’arménien des Orhan Pamuk, des Elif Shafak, des accusés de l’article 301 : c’est à eux qu’il appartenait, eux qui en étaient dépossédés aujourd’hui, et qui allaient continuer son combat. Tous ces Dink en devenir. Condamnés par la même loi et par la même menace[9].

Aujourd’hui, parce qu’il y a eu Dink, la Turquie est divisée en deux : ceux qui disent enfin « nous sommes tous responsables », et ceux qui disent toujours « nous sommes tous victimes ». Les uns sont descendus dans la rue et ont fait trembler les fondations pourries d’un Etat bâti sur un monceau de cadavres, faisant de leur geste un nouvel acte d’identité pour la Turquie , une nouvelle base pour un nouvel Etat (voulu par Dink). Les autres ont dit que « la volonté du tueur était de faire du mal à la Turquie»[10], oubliant sciemment (encore une fois) que le fait que l’assassin ait tué en pensant faire du BIEN à la Turquie était une réalité, et qu’il était du rôle de la Turquie de se demander pourquoi cette personne avait pensé de cette façon-là et qui lui avait mis ça dans la tête…

Deux pulsions contradictoires avaient fait sortir les uns dans la rue pour exiger un autre pays, et recroqueviller les autres dans leurs vieux faux acquis ; ces derniers reprenaient d’ailleurs le mot (très galvaudé) de « traître » pour nommer l’assassin, étant les mêmes qui, cela fait quelques mois, utilisaient le même terme pour désigner Dink[11].

                                                          Et nous…

Nous, à qui Dink n’appartenait pas, qu’avons-nous à faire ?

Notre seul rôle, aujourd’hui, est de crier qu’il est mort parce qu’il était arménien, et de le crier le plus fort possible pour que les Turcs l’entendent et "sachent".

Nous devons continuer notre combat aussi, sans fléchir. Parce qu’il est différent de celui de Dink, certes, mais la seule différence - fondamentale - réside dans le fait que nous avons perdu, et que notre fatalisme face au drame nous oblige à le faire reconnaître par tous pour ne pas qu’il s’oublie, jusqu’à ce que la Turquie prenne le drame sur elle.

Aussi, il y a autre chose que nous pouvons faire : sortir de notre condition de victime. Ce sera difficile, contre nature, carrément impossible, mais il faudra qu’on arrive un jour à nous dire que la perte de notre arménité n’est pas irrémédiable, qu’il ne tient qu’à nous de la reprendre en main. Qu’on se rende responsable de notre survie en même tant que de notre perte : pour que notre condition échappe à la volonté du bourreau.

Comme le disait Dink, il faudra qu’on survive[12].

Car, le jour où Dink aura réussit son combat, le jour où la Turquie sera devenu un autre pays, il faudra que nous soyons prêts à faire quelques chose dont on n’est pas capable, et qui d’ailleurs est impossible pour nous aujourd’hui (et pour cause) : nous réconcilier. 

Ce jour-là, nous aurons eu le droit de revenir chez nous[13], nous aurons repris notre destin d’Arméniens en main et l’auront renversé, nous aurons non seulement une langue, une culture, une pensée, mais elle revivra à travers nous au lieu de dépérir aux mains des assassins qui l’ont figée.

Ce jour-là, nous serons en paix avec nous-mêmes. Donc nous serons en paix avec les autres. Comme Dink était le dernier à l’être encore. Là-bas.

 

 

publié dans Haïastan de janvier-février 2007


 


[1] « Ce pays où je ne peux plus demeurer, où on ne veut pas de moi » (citation d’une interview de Dink à l’Associated Press).

[2] L’article 301 du code pénal turc l’avait condamné à six mois de prison avec sursis pour « insulte à l’identité turque » et d’autres procès étaient encore en cours en vue de commuer la peine en emprisonnement ferme.

[3] « Côtoyer les gens que l’on injurie, que l’on méprise serait lâche ; en tout cas totalement opposé à ma conception de l’honneur » (citation de Dink tiré de son dernier article).

[4] Citation d’une interview de 2005 accordée au quotidien gratuit 20 minutes.

[5] Il disait d’ailleurs dans la même interview à 20 minutes : « Si la Turquie reconnaît le génocide, qu’est-ce que cela signifiera ? Que le génocide va devenir une réalité ? Ce qui s’est passé s’est passé et cette réalité, en tant qu’arménien, je le porte sur mes épaules jusqu’à la fin de ma vie ».

Pour disséquer la mentalité diasporique face au drame et le paradoxe du témoignage, lire « La perversion historiographique. Une réflexion arménienne » du philosophe Marc Nichanian qui explique que « L’autorité du témoin réside dans sa capacité de parler uniquement au nom d’une incapacité de dire... » (G. Agamben (in Ce qui reste d’Auschwitz).

[6] « Je tentais d’autre part de parler de ceux qui sont restés, des survivants plutôt que de sacrifier à la commune habitude de ne parler des Arméniens qu’au travers de leur mort » (dit-il dans son dernier texte, paru dans Agos le 10 janvier 2007).

[7] Qui, en diaspora, aurait pu dire sans rougir : « je suis Arménien et citoyen de France et non Français » ? Lui, dans un pays où ce genre de déclarations est autrement risqué, disait : « Je ne suis pas Turc, mais citoyen de Turquie  et Arménien » (déclaration pour laquelle il était jugé à Urfa, ville où il l’avait faite en 2002).

[8] Le 24 avril 1915, à Constantinople (actuelle Istanbul), et dans les autres grandes villes, 762 intellectuels étaient simultanément arrêtés par les autorités turques, décapitant ainsi la communauté arménienne avant de la dépecer méthodiquement dans les mois qui suivirent.

[9] « Orhan Pamuk, soit perspicace, sois intelligent » a crié Yasin hayal, le commanditaire connu de l’assassinat de Dink, à l’entrée du tribunal d’Istanbul le 24 janvier 2007, menaçant le prix Nobel de littérature d’être le prochain sur la liste.

[10] Que ce soit le premier ministre Erdogan, celui des affaires étrangères Gül ou Mehmet Ali Birant, l’éditorialiste vedette de Hürriyet (ce dernier s’étant rattrapé par la suite en reprenant le slogan de l’autre partie des turcs)

[11] Le nouvel Etat voulu par les uns est d’ailleurs un Etat où on ne dirait plus de qui que ce soit qu’il est un « traître », ou un « ennemi » de la nation.

[12] Il disait par ailleurs qu’il y avait aujourd’hui une Arménie (pas la même, certes), et qu’une partie du combat à mener se trouvait aussi là-bas (cf. l’article « Voilà l’arménien »).

[13] « Nous gardons un œil sur ces terres » avait dit Dink.

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24 février 2007 6 24 /02 /février /2007 11:21

Hrant Dink, fils aîné de Gülvart[1] et Serkis Dink, surnommé Hashim le tailleur, est né à Malatya, en plein cœur du plateau anatolien, dans le quartier alevi de Cavusoglu.

A l’âge de 7 ans, le petit Hrant et ses deux jeunes frères, livrés à eux-mêmes suite à la séparation de leurs parents, quittent Malatya pour Istanbul. Les trois frères vont errer pendant trois jours dans la ville, avant d’être retrouvés et placés dans l’orphelinat arménien du quartier de Gedikpacha. Hrant y restera pendant dix ans et y rencontrera sa femme, Rakel, une arménienne kurdisée suite au génocide de 1915, à qui il apprendra l’arménien et le turc.

Nous sommes à l’époque difficile des attentas de l’ASALA[2], et le jeune Hrant, après des études universitaires de biologie et de philosophie, milite alors brièvement au parti communiste, alors interdit.

 

Il est d’ailleurs arrêté et torturé après le coup d’Etat du 12 septembre 1980[3], suite à un faisceau ténu de suspicions : un voyage à Beyrouth (alors fief de l’ASALA) de son frère, le mot "ermeni" inscrit sur sa carte d’identité, ses sympathies "gauchistes"… A partir de cette époque-là, il sera arrêté et interrogé à plusieurs reprises, son nom étant connu et fiché par les services de renseignement turcs. 

 

Avec sa femme, Dink s’occupe alors d’une école arménienne pour orphelins qui sera confisquée par l’Etat turc : cet évènement sera sa première expérience majeure en tant qu’arménien, marquant du même coup sa prise de conscience politique en tant que minoritaire dans un pays qui se dit homogène. Pendant son service militaire à l’infanterie de Denizli, Hrant tentera d’accéder, comme tous ces camarades, au grade de sergent : mais, malgré sa réussite à toutes les épreuves, le mot "ermeni" l’empêchera d’être considéré autrement que comme un sous-citoyen.

 

Puis vient la question kurde, une période sombre où « les arméniens de Turquie vivent dans la crainte, terrés chez eux ». Le terme arménien est alors une insulte, une ministre traitant par exemple le chef du PKK[4] de « sperme d’arménien ». Dans ces périodes troublées, Dink va développer une réflexion de conciliation visant à désenclaver les arméniens et ouvrir la société turque à ses minorités, qu’elles soient arménienne, kurde, alévie…

Un cheminement intellectuel qui aboutira à la création du quotidien AGOS, publié en turc et en arménien et distribué à terme à 6000 exemplaires. La tête de pont d’un combat, qui sera présente lorsque les intellectuels turcs commenceront à s’ouvrir à la question arménienne, et dont le but avoué est d’accompagner le travail de démocratisation de la société civile et politique turque.

Son combat culminera en septembre 2005, pendant la fameuse conférence universitaire d’Istanbul consacrée aux arméniens où la question du génocide est abordée sans tabous.

 

Sa mort, le 19 janvier 2007, n’est que l’aboutissement d’une vie vrillée en plein cœur d’un pays : La Turquie. Et qu’on a tenté –une dernière fois- d’extraire.



[1] "Gül" et "Vart" veulent dire tous les deux "rose". L’un est en turc, l’autre est en arménien.

[2] ASALA (armée secrète arménienne de libération de l’Arménie) : groupuscule terroriste qui a frappé, dans les années 70-80, les intérêts turcs à l’étranger en assassinant notamment certains de leurs représentants

[3] En référence au putch militaire en Turquie qui met un terme à une période d’instabilité politique et aux espoirs d’alternance démocratique de la gauche turque

[4] PKK : groupe terroriste indépendantiste kurde

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26 janvier 2007 5 26 /01 /janvier /2007 16:41

 

 

 

 

 

Dans un monde de victimes, le bourreau est roi. Nous nous sommes faits les observateurs impuissants des limites que nous nous étions fixés, démontrant ce pourquoi notre combat présent doit se poursuivre au-delà de la reconnaissance pour ne pas s’emmurer dans ses propres limites…Voilà le triste constat qui découle de ces derniers mois relatés ici sous forme de saillie ironique.

 

 

« Qu’est-ce que ça fait de ne plus être une victime ? »

Ce fut là la drôle de question un brin déroutante qui me vint instinctivement à l’esprit une fois débarrassé d’une amie française qui venait de me reprocher avec une véhémence rare l’entrain que j’avais mis à voir concrétisée la loi sur le négationnisme du génocide arménien. Cela faisait quelques jours que la loi était passée à l’assemblée nationale, et la joie que cette nouvelle m’avait procuré se dissipa soudainement à cet instant-là, me laissant le goût amer d’un petit quelques chose que je n’étais plus à présent, un petit quelques chose qui faisait partie de l’arménien que j’étais, qui m’avait fait me sentir un être différent des autres parce que porteur d’une condition – celle de victime – et d’une cause – celle de la reconnaissance de ma condition… Et qui laissait un énorme vide, à présent.

Moi qui avais toujours espéré que cette condition se décollerait de moi, et qui l’avais toujours refoulé, raillant la prostration de mémoire comme seul horizon de principe que s’infligent les arméniens de France depuis tant d’années… La communauté avait tout de même réussit à me rendre malade, moi aussi… J’avais été une victime ! Et je ne m’en rendais compte que maintenant, alors que je l’étais de moins en moins pour les autres.

 

Depuis quelques jours, en effet, les journalistes et les responsables politiques de haut rang s’étaient ligués dans les médias pour ne véhiculer qu’une seule pensée : « cette loi n’était pas une chose à faire… Les arméniens sont allés trop loinOn a embarrassé les turcs… ». On avait d’abord entendu, dans un rare consensus, les médias qui, la veille encore, égrenaient à coup de photos de crânes fracassés et de chiffres de morts les torts de l’Etat génocidaire s’opposer à la loi frontalement et sans concessions possibles. Comme si on les attaquait personnellement, comme s’ils défendaient un intérêt quelconque, un droit fondamental, comme s’ils n’avaient pas assez confiance en leurs convictions historiques et se demandaient avec effroi si – au cas où, hein ?- le jour où ils nieraient le génocide on les ferait payer devant un tribunal !

« Le Monde » se fendant d’un édito à charge, « Le Nouvel Obs » interviewant sans mise en garde préalable des historiens négationnistes (si, si, ça va ensemble) sur la question du génocide, « Euronews » berçant le désarroi de tout un pays blessé par la France, le Courrier International publiant les journaux turcs jusque dans sa chronique hebdo, avec, en marge de l’article mis en ligne, le lien internet du site Tête de turc, « le site des Amis de la Turquie, qui consacre de nombreuses pages aux « mensonges arméniens » » (alors qu’il est référencé comme site négationniste par Yahoo !) en vis-à-vis d’Imprescriptible, le site de référence consacré « au génocide et à sa négation ». Les deux sur le même plan ; par équité, objectivité, respect des parties en cause, etc.

On invoquait le nombre réduit des députés présents lors du vote – 1/5 du maximum autorisé- histoire de faire oublier que l’écrasante majorité avait voté pour. Et en omettant de dire que les niches parlementaires parvenaient rarement à en réunir autant.

On expliquait que le président avait essayé de réparer les dégâts, qu’il n’y avait rien à craindre, que les députés en cause étaient des vendus du lobby communautaire arménien, qu’ils n’avaient pas voté par conviction (réduisant le vote à un acte mesquin et sans intérêt républicain)…

Moi, la seule chose qui m’occupa vraiment par la suite fut la prise de conscience horrifiée que la grosse boîte du Pandore turc venait d’être ouverte par les médias français : les négationnistes, piqués au vif et blessés au plus profond de leur liberté chérie de nier avaient été invités à sortir du bois, à s’instituer victimes et à faire étalage de leur savoir-faire. Pour défendre la libre circulation des mauvaises pensées.

Nous qui, hier encore, aurions sauté sur les occasions de dénoncer chaque collusion entre un média et des négationnistes avions été tout d’abord débordés, puis désemparés, et enfin désarmés… Pire : dans le brouhaha des médias, notre voix ne portait plus du tout ! Nous étions victimes d’une extinction de voix consécutive à la gueule de bois contractée au lendemain du 12 octobre.

On n’avait plus à prendre soin de nous, à nous ménager. Nous ne méritions plus les égards dus à un peuple frappé d’injustice, parce que l’injustice avait été largement effacée ; tant et si bien que la mesure nécessaire au rendu de la justice avait été outrepassée. Du statut de victime, j’étais passé à celui d’agresseur. Un agresseur de mémoire qui obligeait, sous peine de séquestration et de prélèvement d’argent, à des gens qui ne m’avaient rien demandé, de ne pas penser à haute voix qu’il n’y avait pas de génocide, selon l’idée sacrée que la liberté fondamentale consistant à avoir le droit de mal penser était entamée, imputant l’Etat de droit par la même occasion.

Je me suis alors sentit coupable. Oui, coupable ! D’obliger des gens à ne pas dire le contraire de ce qui s’était passé. Non parce que ça m’aurait fait du mal, mais parce que ça leur faisait du mal.

Je ne suis plus une victime, donc. Ma communauté est arrivée au bout de son chemin. Dans quelques années, elle n’aura peut-être plus de combat à mener, puisque le sénat aura validé la loi. Et après ? Le vide, la culpabilité, la honte d’avoir abusé de la situation pour parvenir à ses fins en dépit du « bon sens commun » consistant à dire qu’il fallait tenir compte de la susceptibilité des autres, des tracas qu’on leur occasionnait, etc. Quel égoïste ai-je été, moi, l’arménien ! Moi qui n’ai pas pensé, dans le souci buté de me rendre justice, que ça aurait pu blesser le turc d’aujourd’hui (= innocent), gêné le français qui ne demandait rien, embarrassé une Europe soucieuse d’entente mutuelle, de relation durable, d’Amitié Eternelle…

 

Et pourquoi ça ? Parce que je ne me considérais que comme victime.

[publié par Haïastan déc-jan]

 

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26 janvier 2007 5 26 /01 /janvier /2007 16:29

La question de l’Histoire posée dans le cadre de l’actualité arménienne est d’autant plus prégnante que l’Histoire en elle-même n’est plus enseignée dans les écoles, ateliers et groupes culturels arméniens d’aujourd’hui. Au-delà du "folklore" et de 1915, et dans un contexte culturel pauvre, le jeune arménien n’a plus de repères clairs où asseoir son identité personnelle, s’en tenant souvent à un stéréotype de groupe censé lui indiquer ce que signifie être arménien. Dans quelle mesure l’apprentissage d’une identité s’assujettit-il dans le cadre d’un tout intemporel, d’un cheminement collectif qui se doit d’être su, et partagé ? En quoi un arménien s’empêche-t-il de tourner à vide lorsqu’il prend en compte, en toute singularité, ce qui a déjà été ? Autant de questions qui ramènent à une seule réplique : Et si les arméniens n’avaient plus d’Histoire ?

 

La culture en tant qu’incidence de l’Histoire

Et si…

Une histoire est un évènement qu’on se raconte. Une Histoire, de même, est un évènement qu’on se raconte; sauf que cet évènement a déjà eu lieu et a, par conséquence, eu une incidence sur la suite. Les peuples sont faits par l’Histoire. Ils ne tiennent même que par ça. Sinon, pourquoi la propagande, la négation, les légendes, les mythologies, et autres dérivatifs plus ou moins toxiques ou salvateurs destinés à manipuler l’Histoire ont-ils, de tous temps, été crées par les Hommes comme instruments de pouvoir sur le présent ?

Au-delà de l’Histoire, il y a la culture. Culture  : le mot est lancé. Voici donc le terme exact donné à cette "incidence" qu’a l’Histoire sur les personnes et dont les déclinaisons multiples (qu’elles soient sur le plan artistique, spirituel, intellectuel, etc.) sont les carburants d’un peuple, assurant son progrès de façon quasi irrémédiable. Car quel pouvoir est assez conséquent pour réduire à néant un peuple en pleine possession de ses moyens culturels ? Le pouvoir même d’anéantissement physique total n’est encore jamais parvenu à effacer les traces de peuples aussi menacés que les aborigènes ou les indiens d’Amérique !

En effet, s’il y a une seule chose au monde capable d’anéantir un peuple, elle ne passe pas par le corps, mais par l’esprit.

Tuez un arménien, et sa culture perdurera. Tuez sa culture, et l’arménien ne perdurera pas. Il ne mourra pas, certes ; mais il ne sera plus vivant en tant qu’arménien. Triste mais implacable constat…

 

Comment meurent les peuples…

Des langues se taisent chaque jour dans le monde, taisant les cultures qu’elles exprimaient et emportant les peuples par la même occasion, pour ne laisser qu’un individu dénué de toute identité ou, dans le meilleur des cas, perdu dans une identité majoritaire qu’il a fait sienne : ce processus est à l’origine du monde d’aujourd’hui (que certains aiment à nommer "individualiste") ; un monde d’individus qui perdent petit à petit leur dénominateur commun, leur matrice collective. « Il y a de plus en plus d’étrangers dans le monde » disait avec raison Desproges.

On aurait tendance à croire que ces choses-là ne frappent que les petits peuples en manque de rejetons : mais, encore une fois, cela n’a rien à voir avec une loi "physique" !

Sont-ce les barbares qui ont tué Rome ? Le déclin de l’empire romain a suivit un mécanisme bien plus complexe et bien plus antérieur, largement étudié et disséqué, qui démontre que les invasions barbares n’étaient que l’élément déclencheur, l’ultime coup de pouce donné à un immense château de cartes déjà bien entamé par le délitement culturel (dont une des étapes les plus importantes fut la propagation d’une religion étrangère, le christianisme, au détriment du rite polythéiste qui avait jusqu’alors été un générateur central de la culture romaine).

Demain, peut-être – du moins selon certains historiens déclinologues- l’empire américain subira un schéma similaire… Qui sait ?

Reste qu’il est du devoir d’un peuple de se préserver, sa culture chevillée au corps. Ou plutôt le corps chevillé à sa culture.

Qu’est-ce qu’un peuple sans Histoire ? 

C’est un peuple sans culture.

Prenons deux exemples très proches géographiquement, et pourtant très éloigné du point de vue qui nous intéresse ici : La Turquie et l’Iran.

L’Iran est l’émanation d’un peuple détenteur d’une culture millénaire enracinée dans le pays physique et indépendante de tout « artifice » nationaliste ou religieux. Le peuple iranien a une culture séculaire qui n’a pour base ni une religion, ni l’idée de nation. Il a d’ailleurs un passé religieux panthéiste et un pays multiculturel. Il en ressort une identité originale, propre au seul peuple iranien. Qui, tout en étant un sentiment d’appartenance inaliénable, n’a pas besoin, pour survivre, de rogner les autres identités. Puisqu’il n’a besoin ni d’une adhésion territoriale, ni d’une adhésion spirituelle des autres pour subsister. D’où une tolérance aux autres qui ne sont par conséquence pas perçu comme des menaces.

Le peuple turc, lui n’a pas d’Histoire. L’empire ottoman n’a laissé que peu de place en tant que culture spécifiquement turque, vite balayée par le kémalisme, et l’Histoire turque ne se résume dorénavant plus qu’au sentiment national et à un compteur qui pointe obstinément sur 1923 : voilà l’exemple type d’un peuple moderne obligé d’anéantir tout autre peuple présent dans son espace vital, afin de permettre cette forme bâtarde de culture qu’est la sienne et qui pourrait se résumer à la notion de "sentiment national".

En gros et pour finir cette rapide comparaison, si tous les iraniens et les turcs en venaient à mourir d’un jour à l’autre, resterait-il plus de trace turque ou iranienne ? Iranienne, assurément.

La culture peut survivre à son peuple. Et la ressusciter. Car il suffirait alors ne serait-ce que d’une seule personne de bonne volonté pour que celle-ci régénère.

À nous…  

C’est pourquoi, dans le contexte de survie dans lequel nous vivons depuis 90 ans, nous nous devons de porter une attention particulière à notre Histoire, et, par extension, à notre culture, sous peine de tuer notre peuple. Car il ne suffit plus pour nous de survivre, mais de nous faire survivre. Au-delà de nous.

[publié par Haïastan déc-jan]

 

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22 novembre 2006 3 22 /11 /novembre /2006 18:03

L’actualité des réparations

nota: cette commande d'un bihebdomadaire arménien n'a pas été publié en fin de compte...

 

Le 25 octobre 2000, un rapport sur la Turquie est présenté par M. Abdelfattah Amor, Rapporteur spécial de la Commission des Droits de l'Homme, lors de la 55ème session de l'Assemblée générale des Nations Unies: il s’agit des conclusions d’une mission d’experts indépendants décidée en 1995 et entreprise du 30 novembre au 9 décembre 1999 à Ankara, Istanbul et Mardin dans le sud-est de la Turquie et qui énonce le fait suivant : « selon ces experts, le parti Ittihat souhaitait créer une bourgeoisie nationaliste turque mais, face aux difficultés d'un tel projet, a profité des conditions de la première guerre mondiale pour éliminer en grande partie, en 1915, la communauté arménienne, et par la même, confisquer leurs biens et propriétés transférés à une nouvelle élite locale. »

Pour la première fois dans les annales onusiennes, la confiscation des biens arméniens est explicitement reconnue au niveau international, mentionnant de surcroît les responsables de ces expropriations, les moyens mis en œuvre, et le but recherché.

Dès lors, le volet des réparations acquiert une dimension primordiale dans la question arménienne, matérialisée, par exemple, par les retentissants procès intentés ces dernières années par les avocats californiens Mark Geragos et Brian Kabateck devant le tribunal de Californie et qui ont aboutis, d’une part, au versement en 2000 de 20 millions d’euros par le New York Life Insurance Company, et, d’autre part, en 2005, par une indemnisation de 14,4 millions d’euros négociée avec Axa (dont 11 millions ont été reversés à un fonds d’indemnisation et trois millions à des organisations caritatives arméniennes en France).

Pourtant, de leur propre aveu, les principales actions restent à venir : fin 2005, de passage à Paris pour finaliser l’accord avec Axa, les deux avocats ont dit détenir  « des preuves irréfutables » contre la Deutsche Bank ,  basée anciennement dans l’Empire ottoman sous le nom de « Deutsche Bank of Orient » et aujourd’hui première banque privée allemande. Cette fois-ci, ce ne sont plus des assurances-vie qui sont visées, mais « des dépôts d’argent, des coffres qui contenaient de l’argent liquide, des bijoux... » a précisé Me Kabateck. Me Geragos a ajouté que d’autres plaintes visant d’autres banques devraient suivre.

Parallèlement, les procès contre les assureurs sont amenés à se poursuivre, puisqu’une plainte a été déposée contre l’assureur Victoria, filiale du numéro deux allemand des assurances ERGO. « Une plainte bloquée parce que le gouvernement allemand est intervenu » qui n’a pas pu être « légalement  signifiée à Victoria », a indiqué Me Kabateck.

 

Par ailleurs, ceux-ci ont déclarés préparer « une action contre le gouvernement turc, concernant ce que les Turcs ont pris aux Arméniens, des biens, des propriétés ».

Ce qui serait un véritable tournant, puisque jamais encore le gouvernement turc n’a directement été inquiété par ces demandes de restitutions.

D’après certaines sources, les avocats comptent atteindre le gouvernement turc à travers une des actions intentées contre les banques, sachant que les gouvernements turcs de l’époque avaient tentés à plusieurs reprises de reprendre (avec succès ?) l’argent déposé dans les banques européennes par les arméniens tués [cf. FOCUS] arguant du fait que les arméniens, morts et sans héritiers, étaient des citoyens turcs dont l’argent ne pouvait logiquement revenir en dernier lieu qu’à l’État turc ; à l’image de Talaat demandant à l’ambassadeur américain H. Morgenthau d’intervenir auprès de la New York Life Insurance Company et de l’Equitable Life of New York pour qu’elles lui remettent la liste complète de leurs clients arméniens.

Ce volet financier des biens arméniens est l’angle le plus pragmatique et le plus pratique des réparations, ce qui en fait la partie la plus facile à mettre en œuvre : d’après des études qu’aurait effectué Laurenti Barseghian, directeur du Musée du génocide arménien de Yerevan[1], l'évaluation du préjudice financier subit par les arméniens à la suite du génocide de 1915 serait de l’ordre de $ 45 -50 milliards. Selon d’autres études, le total global des dommages s'élèverait, en francs de 1919, à 14,5 milliards. En francs d'aujourd'hui, cela se compterait en millions de milliards ![2]

 

 

Mais les réparations ne se limitent pas à de simples calculs d’apothicaires. Ce sont aussi et surtout un patrimoine et des propriétés qui, dans certains cas, font l’objet de traités signés avec l’administration ottomane. Les biens patriarcaux sont tout particulièrement concernés, puisqu’un inventaire, en 1914, les a précisément répertoriés[3]: les archives inédites du Patriarcat arménien de Constantinople pour les années 1913-1914 font ainsi état de 2538 églises, 451 monastères et 1996 écoles. « Aujourd'hui, en dehors d'Istanbul, les Arméniens ne possèdent que six églises, aucun monastère et aucune école », note Dickran Kouyoumjian, auteur du seul véritable travail de synthèse concernant les biens arméniens réalisé à ce jour.

Où sont donc passés ces 2500 églises ? Dans quelle mesure ce patrimoine peut-il aujourd’hui être sauvé ?

A défaut de pouvoir répondre à cette question, faute de l’existence d’un travail comparatif digne de ce nom sur la question des réparations, ces quelques données ont le mérite de nous permettre de nous rendre compte en quoi ce type de travail, de longue haleine, peut ouvrir de nouvelles perspectives dans le cadre du règlement de la question arménienne et parvenir, à terme, à ramener à la réalité tout un pan de nos possessions passées, pour préserver enfin ce qui peut l’être encore.

(cf. page ci-dessous pour le FOCUS et LES FAITS)

 

 

LES FAITS :

Les biens expropriés des populations arméniennes, à l’issue du génocide, vont aux populations turques voisines, par le biais de ventes fictives : « Les notables, qui avaient prospéré par le pillage, craignaient que les Arméniens reviennent récupérer leurs biens et se venger. Ce qui s’est effectivement produit, par exemple, dans la région de Cukurova, où les Arméniens survivants sont revenus avec les forces d’occupation pour reprendre ce qui leur appartenait. », relate Taner Akçam[4], sociologue et historien turc. Des « fermiers et des notables turcs » qui, comme le dit Mete Tuncay[5], chef du département d'histoire de l'université Bilgi, en Turquie,  « enrichis par la saisie des biens arméniens, sont devenus la base du nouveau régime. Ils avaient intérêt à cette amnésie collective». Ceux-ci ont d’ailleurs obtenu, le 14 septembre 1922, l’annulation de la restitution des biens arméniens qui avait pourtant été décidée le 8 janvier 1920. 

La confiscation des biens arméniens, loin d’être un simple effet collatéral du génocide,  représente en conséquence son parachèvement, justifiant l’institution de « l’amnésie collective » par l’Etat et servant de base, selon Taner Akçam, à l’édification de la république kémaliste[6], 

FOCUS :

Les 30 KG d’or déposées, selon André Mandelstam[7], « en 1916 par le gouvernement turc à Berlin à la Reichsbank, et reprises par les Alliés après l'Armistice, étaient en grande partie (peut-être en totalité) de l'argent arménien. Après la déportation des Arméniens en 1915, leurs comptes courants et leurs comptes d'épargne furent transférés, sur ordre du gouvernement, au Trésor d'Etat à Constantinople  »

Ces informations proviendraient du fameux Rapport Nansen[8], et pourraient ouvrir la voie, s’ils étaient confirmés, à des demandes de restitution auprès des pays alliés, responsables du transfert de l’argent arménien vers le Turquie.

 

 



[1] Déclarations présentes dans le film négationniste turc "Terrorisme arménien" (2003) et reprises par Haytert

[2] Cité par Dickran KOUYMJIAN in « CDCA, Actualité du génocide des Arméniens »,  Kévork Baghdjian, dans  « La confiscation », pp. 204-205, convertit ces chiffres en francs de 1987 (au taux de 33,5 francs actuels pour un franc de 1919) et parvient à un total de 489 050 000 000 de francs.

[3]« Les Arméniens dans l'Empire ottoman à la veille du génocide » publié en 1992 par Raymond Kévorkian et Paul Paboudjian et repris in « CDCA, Actualité du génocide des Arméniens », «  La confiscation des biens et la destruction des monuments historiques comme manifestations du processus génocidaire » de Dickran KOUYMJIAN

[4] Citation d’un article paru dans Le Monde Diplomatique de juillet 2001 sous le titre « Le tabou du génocide arménien hante la société turque »

[5] Citation d’un article paru dans l’Express du 29/09/05 sous le titre « Turquie
La mémoire retrouvée »

[6] « C’est la raison pour laquelle ces notables se sont rapprochés du mouvement de libération nationale et ont même pris l’initiative de l’organiser eux-mêmes »

[7] Docteur en droit international, Membre de l'Institut de Droit International et Professeur à l'Académie de droit international de La Haye, cité par Shavarsh Toriguian, The Armenian Question and International Law, Beyrouth: Hamaskaïne, 1973, pp. 107-108, citant André Mandelstam, La Société des Nations et les Puissances devant le problème arménien, réédition, Beyrouth, 1970, pp. 489-493 et repris in « CDCA, Actualité du génocide des Arméniens », «  La confiscation des biens et la destruction des monuments historiques comme manifestations du processus génocidaire » de Dickran KOUYMJIAN

[8] concernant les travaux du Haut Commissariat pour les réfugiés, présenté à la quatrième assemblée [de la société des nations] en 1922.

 

Communiqué de presse du FEAJD ( http://www.eafjd.org/) du 23/11/06

CAMPAGNE DE MOBILISATION

GENOCIDE DES ARMENIENS : LA DEUTSCHE BANK DOIT RESTITUER LES BIENS SPOLIES DES VICTIMES

Plus de 20 millions de dollars volés par la compagnie allemande en 1915

Des milliers de déportés arméniens réduits en esclavage sur ses chantiers

Une procédure judiciaire engagée

La Fédération Euro-Arménienne appelle les descendants des rescapés du génocide des Arméniens, les organisations de défense des Droits de l’Homme, les responsables politiques européens et l’ensemble des citoyens de l’Union à protester auprès de la Deutsche Bank pour les forfaits dont elle s’est rendue complice et dont elle a tiré partie à partir de 1915 et jusqu’aujourd ’hui.

Il apparaît en effet qu’à l’instar de la compagnie américaine New York Life et de la compagnie française Axa, la Deutsche Bank s’est illégalement appropriée les biens des victimes du génocide et a participé à l’entreprise de dépeçage de la nation arménienne entre 1915 et 1923.

Les estimations les plus récentes montrent que les Arméniens de l’Empire ottoman avaient plus de 20 millions de dollars de l’époque en dépôt auprès de la compagnie allemande. La Deutsche Bank n’a jamais restitué ces sommes auprès des ayants droits des victimes du génocide. Pire encore, près de 30 ans avant qu’IG Farben n’exploite le travail forcé des déportés juifs de Birkenau-Monowicz, la Deutsche Bank a également employé les déportés arméniens sur le chantier de la voie de chemin de fer Berlin-Bagdad (Bagdad Bahn) dont elle était alors propriétaire. Ceux-ci ont par la suite été exterminés lors des marches de la mort qui les conduisirent dans les déserts de Syrie.

La Fédération note que la Deutsche Bank se targue par la voix de son président de remplir ses « responsabilités sociales » qui sont bien évidemment incompatibles avec l’entreprise d’extermination, d’extorsions et de dissimulation dont elle se rend complice depuis 1915.

La Fédération Euro-Arménienne rappelle également que, pour des crimes analogues, la New York Life et Axa ont été condamnées à dédommager les héritiers des victimes du génocide, et qu’une procédure similaire est en cours à l’encontre de la Deutsche Bank.

Elle appelle en conséquence les forces vives de l’Union européenne à demander à la Deutsche de se conformer à ses principes en dédommageant les ayants droits des personnes qu’elle a spoliées.

Vous trouverez un exemple de lettre ci-dessous. Les courriers peuvent être envoyés par fax en allant sur le site www.deutschebankprotest.eu , ou peuvent être adressés à :

Dr. Josef Ackermann Deutsche Bank AG Taunusanlage 12 60262 Frankfurt am Main Germany

Le 22 novembre 2006

Monsieur le Président,

Par la présente, je viens vous faire part de mon désarroi face à la conduite de la Deutsche Bank, d’une manière générale envers l’Humanité, et plus spécifiquement envers les Arméniens. En particulier, je suis choqué par la façon dont votre banque a spolié les biens des Arméniens assassinés pendant le Génocide de 1915. Je suis également scandalisé par le fait que la Deutsche Bank ait employé les déportés arméniens en tant que travailleurs forcés pour la construction du Bagdad Bahn de 1915 à 1917.

Il est répréhensible qu’une institution financière qui jouit de la confiance de ses clients viole ainsi cette confiance. Vous déclarez précisément sur votre site Web que personne ne peut ni ne doit négliger ses responsabilités sociales. Comment pouvez-vous alors vous targuer d’une telle exemplarité quand votre compagnie a fait exactement le contraire en négligeant ses responsabilités sociales envers ses propres débiteurs.

Je vous demande en conséquence de respecter vos engagements et de restituer les avoirs spoliés des Arméniens. Vous réhabiliteriez la Deutsche Bank en la dédouanant de sa mauvaise conduite passée. Il est temps pour la Deutsche Bank de suivre l’exemple de la New-York Life et d’AXA et de restituer les biens qui ont été, à tort, détenu pendant presque un siècle.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le président, l’expression des mes sentiments respectueux.

 

 

 

 

 

 

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