Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

PrÉSentation

  • : La Vie réelle
  • : Il arrive un moment où il est conseillé de prendre les mots au sérieux................................ (ce blog est un dépôt de mes derniers articles en date - un conseil: regardez les par CATEGORIE en cliquant en haut à droite)
  • Contact

Recherche

12 mai 2007 6 12 /05 /mai /2007 09:10

Paris donne une place en son sein à Chavarche Missakian

Temps fort de la saison arménienne à Paris, la place Chavarche Missakian a été inaugurée le 11 avril face au square Montholon par Arpik Missakian et Bertrand Delanoë à l’initiative de Jack Bravo, maire du 9ème arrondissement et en présence d’Edouard Nalbandian, ambassadeur de l’Arménie en France. L’occasion, en attendant l’exposition prévue fin juin en clôture de l’Année de l’Arménie à la mairie du 9ème, de se rappeler du nom du journaliste et fondateur de Haratch, qui fut l’une des figures déterminantes d’une époque durant laquelle le centre intellectuel de la diaspora arménienne se nichait dans une poignée de petites rues parisiennes…

 

Il y a tout d’abord ceux qui, venus voir l’inauguration d’une place "pour les arméniens", se demandent, étonnés, pourquoi le 9ème arrondissement n’a pas plutôt fait, comme les autres, une « Place de l’Arménie » pour marquer le coup… Ce sont d’ailleurs les mêmes qui avoueront, l’instant d’après, ne pas savoir qui est Chavarche Missakian !

Et puis, il y a les autres : les derniers témoins d’une époque révolue, la garde rapprochée du quotidien Haratch qui serrent les rangs autour de celle sans qui le quotidien des Arméniens de France ne se ferait plus en arménien, les officiels, responsables d’association, dignitaires religieux, historiens, militants Tachnag venus rendre hommage à l’un des leurs, etc.

Enfin, il y a Arpik Missakian. A elle seule, elle fait mentir une cérémonie sous forme de commémoration en y apportant la gageure de la continuité qu’elle représente : fille de Chavarche Missakian, elle dirige Haratch, le quotidien en langue arménienne crée il y a 82 ans par son père et qui, depuis, n’a cessé de paraître qu’une seule fois : pour entrer dans la clandestinité le temps de l’occupation nazie. Un journal qui, à l’époque, était vendu à la criée et dans les kiosques des rues arméniennes du 9ème arrondissement. Dans lequel, pour la première fois, avait été prononcé le mot "génocide" – écrit en grosses lettres latines en titre d’un édito de Charvarche Missakian – ; invitant ainsi les arméniens à sauter le pas de l’Histoire. Un journal, enfin, où les Chahnour, Sarafian, Nartouni, Bechiktachlian et autres intellectuels de renom de l’époque trempèrent régulièrement leur plume…

Le temps d’une inauguration, la rue Lafayette s’est remplie d’une foule hétéroclite d’arméniens qui ne se doutent pas, pour la plupart, qu’ils sont en plein milieu d’un quartier où, dès l’entre-deux guerres, sont passés les plus grands intellectuels arméniens post-24 avril. Un quartier qui a vu l’émergence, rendue indispensable par l’assassinat de la plupart des artistes référents de la culture arménienne du début du XXème siècle, d’une nouvelle génération d’écrivains et de poètes arméniens dont la singularité, dû au déracinement et aux nouvelles influences culturelles (notamment le surréalisme), était alors une force. Et dont les œuvres se perdent aujourd’hui, en diaspora, avec la langue qui les a faite.

Chavarche Missakian était un homme de cette époque-là. Né en 1884 à Zimmara, un petit village perdu en Anatolie, rien ne le prédestinait alors à se retrouver un jour à Paris. Il quitte la province de Sébaste pour Constantinople (actuelle Istanbul) où il passera, au gré des fermetures d’écoles arméniennes, la plupart de ses études primaires et secondaires.

Dès l’âge de 16 ans, il collabore à divers journaux arméniens et publiera, en 1908, un premier hebdomadaire littéraire, profitant de l’engouement intellectuel et politique suscité par la proclamation de la nouvelle constitution ottomane. Membre actif du parti Tachnagtsoutioun (fédération révolutionnaire, socialiste et nationaliste), il est envoyé en 1911 dans la ville de Garine (actuelle Erzeroum) afin de reprendre en main le quotidien Haratch dont le rédacteur en chef vient d’être assassiné. Ce voyage en Arménie historique le marquera profondément. A son retour à Constantinople, il intègre la rédaction du quotidien Azadamard… Jusqu’au 24 avril 1915.

Il est alors sur les listes des intellectuels arméniens à éliminer mais parvient à passer entre les mailles du filet et continue, pendant près d’un an, d’envoyer clandestinement des articles aux journaux arméniens de Sofia ou Bakou. En 1916, tentant de fuir en Bulgarie, il est arrêté et emprisonné par les Turcs. Longuement torturé, il tentera à plusieurs reprises de se suicider pour mettre fin à ses souffrances, puis sera condamné au bagne d’où il ne sortira qu’à la faveur de l’armistice : il fait alors partie des rares intellectuels à avoir survécu, mais en gardera des séquelles physiques tout sa vie.  Revenu à Constantinople, il prend la direction du journal Djagadamard, puis émigre en Bulgarie d’où il est ensuite envoyé à Paris par le parti Tachnag pour animer la toute nouvelle communauté arménienne qui s’y est formé. Il se chargera d’organiser les jeunes de la "nouvelle génération " en fondant le Nor Seround (principale organisation de jeunesse militante, affiliée au Tachnagtsoutioun) et en leur offrant un journal, Haïastan, qui est encore publié aujourd’hui.

 

Mais sa grande œuvre, en tant que journaliste, est la publication, dès 1925, du "nouveau" Haratch (traduction arménienne de l’exhortation "En avant !"). Plus qu’un organe d’information, le quotidien en langue arménienne se définit alors comme le lien grâce auquel « les membres d’une même famille se regroupent après la tragédie de 1915 ; y retrouvant un peu de lumière d’Arménie, du pays quitté malgré soi, terre perdue vers laquelle on rêve de retourner bientôt ». Le journal jouera ainsi un rôle important dans le milieu intellectuel arménien dès  l’entre-deux guerre grâce à ses suppléments littéraires et par une large place faite aux écrivains contemporains qu’il publiera chaque jour sous forme de feuilletons inédits.

Chavarche Missakian tiendra ainsi une grande place dans la vie de la communauté arménienne de France ainsi que dans celle du 9e arrondissement jusqu’à sa mort le 26 janvier 1957. Les arméniens, reconnaissants, lui réservent alors des funérailles "nationales" et l’enterrent au Père Lachaise.

C’est à cette figure-là qu’a voulu rendre hommage le Conseil de Paris en adoptant, le 16 octobre 2006, l’initiative des élus du 9ème de lui donner une place; à cette personnalité forte, symbolique, que Bertrand Delanoë, au cours de son discours, qualifiera d’homme « fier de ses valeurs et de l’Histoire », « fier d’être arménien et d’être parisien (et qui) honore Paris en prenant toute sa place dans la profondeur de notre identité ».

Quant au maire du 9ème arrondissement, Jacques Bravo, dont le premier mot appris en arménien a été " Haratch ", il raconte volontiers que sa première réunion politique a eu lieu dans la salle de la maison de la culture arménienne de la rue Bleue , régulièrement prêtée à la mairie, illustrant ainsi dans quelle mesure les arméniens font partie du " paysage " de son arrondissement.

Reste surtout, finalement, la volonté de marquer la personnalité emblématique d’une époque et d’un quartier d’arméniens qui, avec leurs dix imprimeries, leurs cercles et revues littéraires, politiques, satiriques, médicales, mais aussi leurs restaurants, diamantaires, épiciers, ont permit à une aventure intellectuelle unique en son genre d’avoir lieu…

Article paru dans les Nouvelles d'Arménie de mai 2007

 

 

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES :

En français :

" Cinquante ans de littérature arménienne en France », Krikor Beledian, aux CNRS EDITIONS (2001) En arménien :

« Orér yév Jamér » (jours et heures), Ch. Missakian, imprimé aux presses du journal Haratch choix de textes en langue arménienne écrits entre 1908-1957, publiés à titre posthume

« Haratch 50 », recueil d’un choix de textes publiés dans Haratch de 1925 à 1975 par de grandes signatures,  imprimé aux presses du journal Haratch (1976)

 

A SUIVRE :

Fin juin, en clôture de l’année de l’Arménie en France, la mairie du 9ème arrondissement parrainera une exposition retraçant la vie de Chavarche Misskain organisée par la F.R.A. Nor Seround, le mouvement de jeunesse arménienne qu’il a crée. Depuis ses débuts dans le milieu intellectuel au sein de l’Empire Ottoman, jusqu’à la création du premier quotidien arménien de France à Paris, l’exposition fera voyager les visiteurs dans le temps et dans l’espace.

Des photos, des témoignages, des objets personnels, des éléments biographiques qui permettront de mieux cerner la personnalité et les idées de cet intellectuel mis à l’honneur avec l’inauguration de la place Chavarche Missakian.

 

Les informations complètes seront bientôt disponibles sur http://www.mairie9.paris.fr

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

M
C'est dommage que tu n'as pas lu ton exposé sur cette place, ça aurait été bcp plus intéressant que les speechs ennuyeux des orateurs de tjrs
Répondre