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11 août 2006 5 11 /08 /août /2006 13:55

Un artiste, Ashile Gorki,  tente de peindre le portrait de sa mère. Un metteur en scène veut réaliser le film de sa vie sur le génocide de son peuple. Un acteur turc endosse le rôle d'un méchant sans en mesurer les conséquences. Un jeune homme tente de passer la douane avec des images pour le même film. Une jeune femme veut comprendre comment son père a disparu. Une conférencière se sert de la grande Histoire pour oublier la sienne. Une seule histoire les réunit : celle de l'Arménie.

 

Certains d’entre vous ont accueilli les critiques tièdes des journaux français vis-à-vis d’Ararat avec incompréhension et désarroi. Lorsque des critiques de revues arméniennes étaient occupées à encenser ce film en en soulignant l’universalité du propos et l’accessibilité du message, les critiques français ne percevaient de ce film que la volonté du questionnement qui le caractérise, sans, toutefois, d’après eux, y avoir trouvé des réponses satisfaisantes. Il y a une réponse simple à ce contraste d’appréciation entre arméniens et français : c’est que, involontairement, ce film est fait pour les arméniens et non pour le basique critique français emmitouflé dans son écharpe de soie qui va voir le nouveau film d’Egoyan, soigneusement consigné dans son agenda entre un thriller américain et une comédie française.

Pourquoi ? Parce que le film est peuplé de personnages qui ont, comme le spectateur arménien, la mémoire à vif : cette palette de personnages qui évoluent dans le film se posent des questions que le spectateur arménien s’est déjà posé, ils se trompent parfois de réponse comme le spectateur arménien l’a déjà fait dans un pareil cas ou adoptent des attitudes que le spectateur arménien a déjà eu vis-à-vis de certains sujets.

Tous ces personnages, aussi différentes que soient leurs manières d’y répondre ou d’y faire face, le spectateur arménien peut s’y identifier. Ces personnages dialoguent avec lui, lui posent des questions qu’il ne s’est auparavant pas posé mais qui l’interpellent, ou répondent, à leur façon, à des questions que lui se pose depuis longtemps. C’est lorsqu’un film parle avec le spectateur ou l’interpelle qu’il devient utile. Or, le film d’Egoyan n’a pas d’autres prétentions que d’être utile à la compréhension ou à la prise de conscience de certaines choses. C’est ce que n’a pas compris le spectateur français ou une minorité de spectateurs arméniens.

 Ces derniers, allés pour voir le film sur le génocide arménien, rentent déçus, car, n’ayant pas compris le sens du film, ils l’ont surestimé et sont restés sur leur faim. Le sens du film était d’aborder la question de la mémoire du génocide arménien, un génocide sans sépulture, et non le génocide lui-même. En effet, aborder le génocide arménien aujourd’hui aurait été artistiquement suicidaire et potentiellement impossible (à moins d’avoir une approche originale ou très soigneuse de la question) : on ne fait pas de film sur un tel crime sans une grande difficulté ou bien on détourne la difficulté en faisant un documentaire ; c’est d’ailleurs le constat fait par Egoyan à travers le personnage de Saroyan, un cinéaste arménien qui élabore un film sensationnaliste et imagé sur son génocide. De plus, le génocide arménien n’étant pas reconnu, il est inconcevable de faire un film tel que « La liste de Schindler » version arménienne, en oubliant de parler de tout l’aspect de la mémoire bafouée et du déni.

Pour le spectateur français, le problème est autre : c’est un problème de compréhension du film. Il est incapable de comprendre tout le film. En fait, il ne comprend peut-être, des questionnements soulevés par celui-ci, que le stratagème du film dans le film et la frustration psychologique du personnage de la petite amie canadienne de Raffi. Or toute la profondeur de l’œuvre, tournant autour de la question de la mémoire du génocide arménien, réside dans les personnages de Saroyan, de Raffi, de sa mère, et d’Arshile Gorki (le douanier et l’acteur turc n’étant, dans le cadre de ce questionnement, que des révélateurs de certaines questions et réactions qu’ils provoquent sur ces personnages-ci). Ne pouvant s’identifier à ces personnages, le spectateur français ne peut dorénavant pas toucher la profondeur du film et l’apprécier à sa juste valeur : c’est pourquoi, même s’il admet que le questionnement du film est intéressant, il ne peut pas, ne se sentant nullement concerné, y être sensible. 

C’est pourquoi ce film est voué à n’être parfaitement jaugé que par les arméniens ; n’en déplaise aux critiques français qui, conscients d’avoir senti la profondeur d’un questionnement dont ils n’ont pas pu saisir le sens, avaient décidé d’accueillir le film tièdement, sans prendre garde à leur propre ignorance.

 

[publié le 05/09/02 et repris dans NAM]

 

 

 

 

 

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commentaires

L
J'ai vu ce film, nous n'étions que 2 dans la salle, ma petite-fille<br /> et moi. La faute aux critiques, qui n'ont rien compris.<br /> Janine Altounian dans l'introduction de son livre "L'Intraduisible"<br /> en parle très bien. Il est vrai que l'histoire était un peu compliquée,<br /> c'était un très beau film.
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