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6 septembre 2007 4 06 /09 /septembre /2007 22:58

             Des artistes pleins du Monde

 

Il y a des chansons qu’on découvre comme de vieux amis, des sons qu’on tient pour acquis mais qui ne ressemblent à rien de particulier, des musiciens qui se permettent de faire voyager et de ramener chez soi ensuite…

Les Bratsch sont de ceux-là : de vieilles connaissances dont le nom, révélateur, désigne en Roumanie un violon alto déniaisé au chevalet scié afin de rendre des accords qu’on ne lui connaissait pas. Un nom qui, depuis, est utilisé par les tziganes pour signifier un "temps décalé" que les Bratsch ne renieraient pas ; tant, en 20 ans, ils ont su passer sans s’imposer ni disparaître en infusant leur musique dans la musique des autres.

 

En septembre dernier, les Bratsch étaient en Arménie où, en compagnie des Papiers d’Arménie, Lavach’ et du Duo Saz Peloul, ils avaient entamé un voyage musical à la croisée des chemins, un périple commun sous forme de festival itinérant, emportant leurs instruments de ville en ville, de place de village en orphelinat, de maison de retraite en école…

Dans le soir tiède d’Erevan, ils avaient fermé la marche de leurs joyeux acolytes sur les tréteaux dressés au pied des marches de Cascade…

La virile élégance de Dan Garibian, vieux bouc vociférant qui se lève et s’exclame, en écho, dans l’exhortation d’un mal qu’on emporte – tasavet daném, puis qui écoute, en chanteur méditatif, se jouer le monde la guitare à la main ; la silhouette dégingandé de l’accordéon dont le corps hurle lorsqu’on le plie, lorsque François Castello hausse ses sourcils –un coup- puis que ses mains s’abattent – deux coups – et que son long corps réverbère se lève et se hoche, se balance et s’étire, le nez en l’air et le verbe haut ; le débridement Yiddish du violon frêle que Bruno Girard, tout droit sortit d’un tableau de Chagall, les cheveux tombant de son éternel feutre et les genoux écartés sous son buste mobile, éparpille en une ode bruyante à la vie ; ces sons entrechoqués poursuivis par la grosse caisse de résonnance que le contrebassiste Pierre Jacquet pince les yeux fermés, caressant les poils, enlaçant le bois, plongeant dans une vibration grossière ou la voix gutturale d’un "Oûm" retenu sous la clarinette de Nano Peylet qui raconte… Ah ce qu’une voix peut se révéler bavarde lorsqu’elle trouve instruments à sa hauteur !

Et tandis que les jeunes filles dansaient dans la nuit d’Erevan, qu’un vieil homme hochait théâtralement la tête d’un air entendu, que la mendiante de la rue Toumanian se balançait sur sa chaise du second rang le menton levé vers la musique ; on n’écoutait plus, on comprenait, acquiesçant un accord éloquent, une musique lourde du sens reconnu d’un monde ouvert aux arméniens qui battaient sa mesure.

 

 

Assis huit mois plus tard dans un café de Belleville avec Dan Gharibian, j’évoque cette virée en Arménie (que j’avais un temps accompagné) et les souvenirs qu’il en retire : l’ambiance, la chaleur, cette atmosphère si particulière qui les avaient grisé dès le premier soir l’ont décidé à y retourner avant la fin de l’année…A condition, néanmoins, de trouver le temps, car le groupe a depuis repris le chemin des tournées avec un nouvel album en poche, « Plein du Monde », pour lequel – fait inhabituel – ils se sont dotés d’un agent et d’une maison de disque. L’enjeu n’étant pas mince : faire collaborer des artistes venus d’horizons musicaux différents autour de leur musique à eux afin d’établir ainsi une fratrie, une filiation, ou plus simplement pour sceller des vieilles amitiés de scènes ou de belles rencontres.

 

Les Bratsch sont ainsi parvenus, de fil en aiguille, à faire, entre autre, entrer dans leur album l’accent chantant d’Olivia Ruiz, qui les avait découverte adolescente dans la discothèque d’une amie, la gouaille truculente de Juliette, croisée lors d’un bœuf un soir de festival, les rythmes manouches de Sanseverino, embarqué avec eux du temps où il n’était pas encore connu, le soleil du raï avec Khaled, un vieil ami du sud, ou la savoureuse voix de tête de Tété (dans un répertoire Yiddish étonnamment réussi).

Comme me l’explique Dan Gharibian, chaque artiste est venu vers eux à sa façon : certains, comme Sanseverino, savaient ce qu’ils allaient chanter à l’avance ; alors que d’autres, comme Tété, se sont laissés guider par nos vieux compères dans un choix de chansons sélectionnés et remaniés avec eux. Debout sur le zinc et La rue Kétanou , de jeunes groupes de la scène française d’avant-garde, ont d’ailleurs carrément refaits, pour l’un, l’arrangement d’une ancienne chanson des Bratsch, alors que l’autre a entièrement réécrit les paroles d’Opa tsupa, un classique de leur répertoire…

Un seul artiste est, contrairement aux autres, venu avec sa chanson à lui : Charles Aznavour. Pour la chanson "Une goutte d’eau", chantée à deux voix et en deux langues (arménien et français) avec Dan Gharibian, le chanteur a, de plus, consentit à dire deux phrases en arménien... Le grand Charles étant le seul à être d’une génération avant les Bratsch, ceci explique cela : les Bratsch étant eux-mêmes des références pour la plupart des autres (jeunes) artistes, ce disque s’est en quelque sorte construit comme un passage de témoin sur trois générations.

Tous ces artistes ont aussi, bizarrement, un autre point commun ; relevé, sur le tard, par des spectateurs de leur tournée allemande de mars dernier: aucun n’est français d’origine. L’une est kabyle, israélienne, mexicaine ; l’autre est antillais, algérien, italien, arménien... Une façon, peut-être, de remarquer que le métissage des musiques passe par le métissage des Hommes.

 

En 20 ans, les Bratsch ont changés : alors qu’avant le gros de leur répertoire était des chants du monde repris par leur soin avec l’originalité que l’on sait (Sayat Nova ne dira pas le contraire), ils ont, chemin faisant, digéré ces musiques et ressentit le besoin de raconter à leur tour et d’écrire (notamment en arménien grâce à l’aide précieuse du poète Gérald Papasian)… Aujourd’hui, une étape de plus est franchie, puisque ces baroudeurs solitaires ont choisit de partager la matière amassée par leur soins avec les petits nouveaux de la chanson française qui émergent auprès d’eux.

Car s’il est vrai qu’en France les Bratsch siègent en vieux briscards dans les bacs des disquaires à la rubrique « Musique du monde » (qu’ils ont sûrement vu naître) ; pour les arméniens, les slaves, les tziganes, ils resteront toujours ces talentueux faussaires entrés dans leurs musiques par une porte dérobée… Pour notre plus grand plaisir !

publié dans Nouvelles d'Arménie Magazine de septembre ou octobre 2007

 

 

 

 

 

ça c'est moi pendant leur tournée en Arménie... mais les photos plus haut (et celle-là aussi ainsi que l'appareil que je tiens maladroitement) ne sont pas de moi, mais de Daniel Arabian.

Merci à lui.

Ah euh non! si en fait il y a bien une photo de moi (la seule potable que j'aies réussi à faire): celle qui est sous le titre! Comme j'en suis fier je l'ai mise tout en haut! hihi

 

 

 

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